La fresque proposée par le Musée des arts décoratifs reprend des thèmes simples et complexes à la fois. L’exposition pose, selon une approche transversale, la problématique de la relation ancestrale entre l’homme et l’animal.
A travers une présentation quelque peu contraignante, figée, elle dresse un état des lieux des modes de représentation de la nature animale, un champ ouvert à l’interprétation. L’occasion d’une réflexion, qui traverse l’histoire de l’art et des arts décoratifs, sur l’Evolution et ses mystères, l’animalité de l’homme et le couple conflictuel nature/culture.
L’exposition donne à voir avec justesse les deux types de nature animale: domestique et sauvage. L’animal de compagnie incarne la puissance du maître, dans une proximité suspecte de connivence et d’asservissement, tandis que l’animal sauvage exerce une excitation trouble, une attirance pour le danger, la férocité.
Elle nous rappelle aussi que l’homme établit une fréquentation sensorielle avec le monde animal : l’odeur, la couleur aux variations infinies du poil et de la plume appliquée à l’art du vêtement ou de l’accessoire. La souplesse de la peau devient un moyen de parer l’objet de cuir, galuchat, autruche, nacre… L’animal est matière-même de la création, et son usage objet de fascination, comme la marqueterie de nacre et d’écaille de tortue utilisée au XIXe siècle pour des objets dérisoires: étuis ou porte-cartes, ou les pendules de Clément Rousseau.
L’homme s’approprie ce qui le dépasse en forgeant dans son inconscient des représentations animales imaginaires, registre fantastique d’hybrides, de mutants, de personnages mythologiques et de fiction : hydres, sphinx, chimères, dragons, robots et clones à la lisière du surnaturel. Avec, dissimulée dans ce dépassement du réel, une tentative d’exorciser les peurs.
Combat fantasmé de l’ange et du dragon, monstres tendres et malicieux pour enfants comme les Uglydolls, l’homme lutte dontre ses angoisses en les représentant. En manifeste, la Sphinge en porcelaine de Nevers (1700) ou ce cauchemardesque dragon dans la jardinière d’Edouard Lelièvre (1870)…
Car l’animal, dans sa portée symbolique, est toujours investi de la complexité fantasmée de l’humain. Cette dimension se retrouve surtout dans l’expression des marques et des personnages de fiction, à l’exemple du lion symbole de force, de colère et de pouvoir, du serpent qui incarne la séduction et la tentation, du chien, emblème de fidélité ou de l’oiseau — qui traduit, dans la publicité Coco de Chanel, la volatilité du parfum… Une représentation qui fait sens.
Et puis, l’animal envahit le quotidien, figé dans le décor, pénétrant ainsi l’art de la table et les intérieurs: panneaux peints, lambris, tapis, étoffes ou garnitures de siège,. A la fois matière ornementale et compagnon, il s’incarne avec force et réalisme dans les bibelots de porcelaine, de bronze ou de bois. Du plat creux de Jean-Charles Avisseau (1850), où il transpose avec réalisme l’inquiétant fourmillement et la densité du monde animal, au Bowl with Snail de Hella Jongerius (2004), habité par un escargot, il y a ce même désir d’insinuation du vivant dans le paysage domestique.
Enfin, l’animal est l’expression d’une perfection biomorphique, source d’inspiration équivoque, dans la création des volumes des sièges, par exemple, où l’on s’inspire de la tension musculaire et de la puissance de l’organisme.
Mais le vivant est détourné par une perfide alchimie, une spécialité de certains designers contemporains :Julia Lohmann avec son luminaire en estomac de mouton Ruminant Bloom (2004), Wieki Somers et sa théière en porcelaine de Chine High Tea Pot (2004), conçue dans un crâne de sanglier fourré de ragondin, ou la céramiste Valérie Delarue avec le service en faïence Massacre (2008), où des morceaux de cochonaille — tête, pieds, queue — présentés sur un plat brisé transforment le centre de table en tuerie protocolaire. Ces pièces, comme autant de Vanités contemporaines, dépassent le cadre de l’imitation de la nature pour faire l’ébauche d’une critique sur nos modes de consommation et notre vision du beau.
Le sujet animal est inépuisable… et la matière apportée par le musée d’autant plus riche (400 objets sortis tout droit des réserves). Ce qui ne nous empêche pas de rester un peu sur notre faim, ayant espéré trouver dans cette vaste déclinaison des représentations animales le travail de jeunes designers tels que Front design, Mathieu Lehanneur ou la société Ibride, car la réflexion est d’une véritable actualité. Quitte compléter les pièces de la collection par des prêts…
Wieki Somers
— Théière High Tea Pot, 2004. Porcelaine de Chine, crâne de sanglier, fourrure de ragondin.
Icebat
— Uglydoll, monstre Icebat, 2003. Jouet pour enfants. Matériaux variés.
Jean-Paul Goude
— Affiche Coco parfum Chanel, 1991. Avec Vanessa Paradis.
Anonyme
— Sphinge, XVIIIe siècle. Faïence de Nevers.
Clément Rousseau
— Pendule en galuchat, ébène et nacre, vers 1921.
Esther Meyer
— Chapeau, 1908/1910. Faisan recomposé.
Hella Jongerius
— Assiette Animal Bowls, 2004. Porcelaine. Manufacture Nymphenburg, Allemagne.