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Angle mort

La chorégraphie est assez sage, aucunement dérangeante, néo-classique, hachée en ses prémices de quelques temps morts, de relâchements assumés, de marquages de gestes à venir, en puissance, en pointillé.

Les passages de textes érotiques, parfaitement lus par la comédienne-joueuse de banjo en tenue de country woman, par le chorégraphe lui-même et par sa danseuse étoile ne sauraient choquer de nos jours les oreilles les plus chastes.

Sauf erreur de notre part, la décoration est absente. À moins de considérer que les trois rubans tendus au-dessus du carré d’as artistique (qui font penser au ballet Les Liens de Janine Charrat et à Tensile Involvement d’Alwin Nikolais) aient été signés ou assumés en tant que tels. L’éclairage est réduit à deux configurations basiques : des projecteurs braqués en direction des spectateurs et une ambiance rouge pour les scènes qui se veulent « hot ».

Tout n’est certes pas convaincant. La violoncelliste est charmante mais elle nous a paru un peu tendre ; son crincrin n’apporte rien à l’affaire. La danse à l’unisson qui, après la réforme cunninghamienne, faisait déjà vieillotte chez Bausch, Preljocaj and Co, ne sert pas vraiment le propos ; cette conception militaire du geste révèle, en outre, l’imperfection de certains enchaînements, de passages en force, de dénouements à l’emporte-pièce, bref le manque de finition ou, ce qui revient au même, de travail de répétition.

Les textes, pas très excitants pour ceux qui ont déjà lu Sade ou Apollinaire (ces poètes du dimanche comprendront, à l’usage, que ce qui compte, c’est la forme, jamais le fond, aussi « hard » soit-il) sont, comme on l’a signalé, correctement interprétés, ce qui est rare dans un spectacle de danse. Il est vrai qu’on est dans ici un trip d’art total, d’œuvre opératique wagnérienne, de danse-théâtre béjartienne. La fluidité de la danse, le recours aux monologues, la présence sur scène des musiciens ne sont pas sans rappeler certains gimmicks piochés chez Rosas.

Dans l’ensemble, le show se laisse voir sans aucun ennui. Il faut dire que la banjoïste et le joueur de six cordes font leur boulot, le lien et le liant comme il faut. Le gratteur de Fender joue brillamment de sa Stratocaster, remplit les temps morts et invente son propre espace sonore. Avec un minimum d’effets (quelques boucles au début, un peu d’écho et, toujours, l’amplification la plus juste), il contribue au succès de ce véritable musical contemporain en soutenant à tout moment l’art de la voix comme celui du mouvement. Il est ici et maintenant. Disponible aux autres, il ne joue ni les starlettes ni les guitar heroes, ni même les cabot. Cela mérite d’être souligné.

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