Tandis que 2019 marque le cinquantenaire du premier pas sur la Lune (20 juillet 1969), Angelin Preljocaj livre une création autour de la pesanteur. Intitulée Gravité (2018), cette pièce créée avec treize danseurs plonge dans la perception des interactions gravitationnelles. Autrement dit, plonge dans la sensation de pesanteur, telle celle rivant les objets et personnes au sol terrestre. Ou encore, celle faisant se sentir plus léger sur la Lune. Composant avec ce phénomène depuis trente ans, en tant que chorégraphe, Angelin Preljocaj s’empare ici du problème en le décortiquant par le mouvement et la danse. La masse, le poids, l’accélération et la vitesse, la force, l’attraction, la lourdeur et la légèreté — avec leur impératif de verticalité… Autant de contraintes physiques auxquelles se confronte toute danse terrestre. Comme autant de paramètres configurés par défaut. Mais plutôt que de s’atteler au problème avec un gravimètre, Angelin Preljocaj en fait un ballet contemporain.
Gravité d’Angelin Preljocaj : un pièce autour des variations de pesanteur
Pour calculer les positions et interactions des corps dans l’univers, il existe au moins deux modèles théoriques. Les interactions gravitationnelles avec Isaac Newton, où les corps s’attirent par des forces immanentes. Et la configuration de l’espace-temps, avec Albert Einstein, où les corps se distribuent suivant la courbure de l’espace-temps. Quel que soit le paradigme, un point demeure : le ressenti humain de pesanteur. Ce phénomène physique qui permet aussi de s’orienter dans l’espace-temps. Soit une sensation bien réelle, dont le rôle est important lors des voyages spatiaux, par exemple. Alternant pièces narratives et pièces moins figuratives, avec Gravité Angelin Preljocaj s’aventure dans l’abstraction de ce ressenti corporel. Mais chorégraphe chevronné, il en fait aussi un moment où l’élégance sert de point de contact avec les publics. Concevant ainsi une pièce en forme de défi : « Comment rendre les sensations de gravités autres que la nôtre ? »
Entre légèreté et désir de s’enfoncer : la danse pour éprouver le sens de l’équilibre
Chorégraphe attentif aux interactions entre musique et danse, Angelin Preljocaj a sculpté Gravité à l’aune de pièces sonores sélectionnées avec soin. Maurice Ravel, Johann Sebastian Bach, Iannis Xenakis, Dimitri Chostakovitch, Daft Punk, Philip Glass, 79D… Un éclectisme qui répond à la diversité des sensations explorées. Pour une plongée très concrète dans la chair du mouvement, à la lisière de l’équilibre. Pièce exigeante vis-à -vis de ses interprètes, elle les incite à explorer les limites physiques. Les plongeant tantôt dans une atmosphère légère et quasi-aquatique ; tantôt dans une ambiance plus lourde, ou les corps graves s’enfoncent dans la terre. Jouant ainsi avec l’un des sens qui complètent la conception aristotélicienne classique – des cinq sens – : l’équilibrioception. Soit la perception de l’équilibre. Et s’il n’est pas aisé de s’arracher aux lois de la physique, Gravité n’en jongle pas moins avec la virtuosité de la danse classique et son désir d’apesanteur.