Entre Ange Leccia et le cinéma, c’est une vieille histoire d’amour. Elle remonte au temps de la formation du jeune artiste quand, à la fin des années 60 en fac d’arts plastiques, la Super 8 supplantait déjà les médiums traditionnels.
Une opportunité que Ange Leccia a su saisir et une pratique qui depuis ne l’a plus jamais quitté. Quand bien même les années 80 et 90 l’ont vu se pencher sur la requalification de l’objet et du mythe «ready-made», les films et les références cinématographiques ont nourri l’ensemble de son travail. On l’a vu ainsi travailler avec Pierre Clémenti, acteur chez Antonioni et Jean Eustache, ou emprunter les bandes-sons des films de Godard.
Le cinéma forme le décor de son paysage familier, pas de surprise donc à le voir rentrer de plain-pied dans des Å“uvres où l’image joue les premiers rôles. Mais rien n’est jamais rectiligne avec Ange Leccia. L’image prend, dans ses réalisations, des trajectoires singulières.
Non pas qu’elle soit difficile à cerner. Par le cinéma, Ange Leccia dépasse le champ conventionnel de l’image en convoquant d’autres sens et d’autres mythes. Dans l’exposition de la galerie Almine Rech, il a choisi de porter son attention sur une série de photographies alignant toutes des références à une certaine anthologie du cinéma des années 60.
Brigitte Bardot chantant La Madrague; le Galia de Georges Lautner avec Mireille Darc en âme torturée par la passion amoureuse; la musique de Pink Floyd pour More, le film de Barbet Schroeder; les Pink Floyd encore, avec deux extraits de la célèbre pochette de l’album Atom Heart Mother.
Ce que livre Ange Leccia, c’est un véritable voyage sur une terre de cinéma, celui de sa jeunesse, épris de cette vibrante amoralité et de ce psychédélisme finissant. Depuis l’image d’un film, la musique d’un film jusqu’à la star d’un film: tous les faisceaux concordent pour tenter de capter l’esprit diffus d’une époque à cheval entre la continuité et la rupture, ce moment précis où à Bastia, Ange Leccia découvrait lui-même sa vocation.
Plus de quarante ans passés, il y a dans cette exposition une part d’introspection presque palpable, un retour aux origines de l’intuition de son Å“uvre.
Au centre de l’exposition, un autre élément s’ajoute au dispositif mémoriel. Un des Arrangements, comme Ange Leccia les désigne, dans lequel se retrouve la sempiternelle Super 8 (Arrangement S8).
L’appareil, dupliqué en six exemplaires et rangé dans des caissons dont les faces intérieures ont été recouvertes de miroirs, ne projette rien sinon le reflet répété de la lumière censée éclairer la bande. Une bande ici absente mais vite remplacée par le bruit du moteur de l’appareil, ce son lancinant reconnaissable entre tous du moment de la projection.
Si les photographies sur les murs «illustraient» le son du cinéma, l’alignement des Super 8 «sonorise» en quelque sorte l’image. Étrange renversement des rôles et impuissance consciente à raconter au plus juste les sensations sauvages de la beauté d’un film.
Aimer le cinéma n’implique pas de savoir le décrire. Tel n’est d’ailleurs pas l’ambition de Ange Leccia. Cette machine aveugle ou, pour retisser la métaphore duchampienne, cette machine «célibataire», affiche une forme de promesse de cinéma. Et c’est finalement là que les deux ensembles (la série de photographies et l’Arrangement) se rencontrent le mieux. Dans un désir ardent de cinéma, une apétance de l’image et des sensations qu’elle produit (notamment sonore) plutôt que dans la consommation de ce désir et la célébration d’un médium déjà consacré.
Une promesse de cinéma donc ou pour le dire autrement une certaine jeunesse de cinéma. Le spectre du jeune Ange Leccia, réalisateur impatient du début des années 70, n’avait visiblement pas dit son dernier mot.
— Ange Leccia, Arrangement S8, 2010. Bois, miroir, projecteurs Super 8, 6 éléments. 120 x 35 x 45 cm
— Ange Leccia, More, 2010. Photo sur aluminium. 122 x 120 cm.
— Ange Leccia, Atom Heart Mother, 2010. Photo sur aluminium. 120 x 246 cm
— Ange Leccia, Sans titre, 2010. Photo sur aluminium. 122 x 120 cm
— Ange Leccia, Galia, 2010. Photo sur aluminium. 122 x 120 cm
— Ange Leccia, Brigitte Bardot, 2010. Photo sur alumunium. 121 x 120 cm
— Ange Leccia, Sans titre, 2010. Photo sur aluminium. 63 x 250 cm