Marion Laval-Jeantet, Benoit Mangin (Art Orienté Objet)
Andachtsraum
En 1923, le célèbre historien d’art allemand Aby Warburg (1866-1929) ébranlé par la violence de son époque est interné en clinique psychiatrique. De cet épisode douloureux va naître un texte étonnant, Le rituel du serpent, dans lequel il étudie les rituels des Hopis d’Arizona, pour les confronter avec l’histoire de l’art occidental et la modernité américaine.
Aujourd’hui, il s’agit d’un des premiers textes de l’histoire de la pensée transculturelle, mais au-delà de l’étude mythologique qu’il y développe, il s’en dégage des dimensions thérapeutiques et visionnaires pour notre temps. En effet, Aby Warburg compare la culture hopi à une expression encore possible d’un espace de contemplation (Andachtsraum) où le lien entre le mythe et la nature n’est pas rompu. Un espace indispensable à ses yeux pour construire l’espace de la pensée (Denksraum) et guérir son époque, et sa propre angoisse, face à un terrible pressentiment: celui que l’âge de l’électricité et des télécommunications peut modifier l’espace physique jusqu’à le détruire.
Le travail artistique de Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin (Art Orienté Objet) se construit sur l’observation du vivant à travers l’écologie, la biologie, mais aussi l’ethnographie et la psychologie. Le cas du Rituel du serpent ne pouvait que les intriguer tant Aby Warburg y dessine une vision globale où les processus naturels sont traités comme les générateurs d’une culture réparatrice. Le rituel du serpent des Hopis n’étant plus pratiqué aujourd’hui, ils ont puisé dans les rituels qu’ils ont reçus des Nyoongar (peuple d’Australie Occidentale), eux aussi créés autour d’un couple de serpents mystiques (Walgyl), pour produire une installation singulière dont la figure centrale est un kangourou victime de la route qu’ils ont enterré, puis déterré afin d’en utiliser et sculpter le squelette fracturé.
L’installation, qu’ils conçoivent comme Andachtsraum (espace de contemplation), est une transposition actuelle de la croyance fermement ancrée chez les peuples aborigènes ou hopi selon laquelle tous les êtres vivants sont liés ici-bas comme ailleurs, poussant à l’extrême le principe de causalité.
Par ailleurs, ils présentent un film construit autour d’une analyse du monde contemporain à travers leur lecture du Rituel du serpent. Dans ce film, ils transposent la pensée d’Aby Warburg à l’époque actuelle, dans une prophétie qui les conduit à sommer le monde de faire une «pause» salutaire, tant que l’espace de la pensée n’est pas détruit par les dispositifs technologiques qui le mettent à mal.
Ce projet entame un nouveau cycle de recherche des artistes sur la notion de biome; aussi ils proposent d’engager des discussions avec le public autour de la vision d’Aby Warburg, des recherches de Jared Diamond (biologiste évolutionniste américain né en 1937), et de la nécessité qu’il y aurait à penser aujourd’hui le biome humain dans sa globalité au vu des découvertes scientifiques et de l’anthropologie.
Vernissage
Jeudi 22 janvier 2015 Ã 18h