Pour une artiste femme, pratiquer la céramique est périlleux, tant les clichés ont dévalorisé ce médium en le relayant au rang de l’artisanat et du typiquement féminin. Pourtant, parce qu’elle investit ce genre mineur de problématiques résolument contemporaines, Laëtitia Benat bat en brèche les idées reçues.
Son travail consiste en l’agencement énigmatique d’artefacts reproduits sur différents supports: la photographie, le modelage en céramique ou le collage à partir d’images prélevées sur internet.
Dans une série de diptyques photographiques, des artefacts sont regroupés par couple sans qu’il soit possible d’élucider les liens qui les unissent. Une peinture religieuse médiévale dialogue avec une tête sculptée de bouc; une figurine noire devient le pendant d’un paysage enneigé. Le choix du petit format et du plan rapproché, ainsi qu’une extrême attention portée aux détails, transfigurent ces artefacts et les haussent au rang d’objets de culte. Un rapport de proximité et d’intimité s’instaure entre ces images et le spectateur, comme invité à méditer.
L’emploi d’un vocabulaire religieux est loin d’être exagéré si l’on regarde les autres pièces de l’exposition dans lesquelles les citations foisonnent: un symbole géométrique évangélique, une chasuble, un autel votif asiatique, etc.
Au mur, deux grosses chaînes modelées en céramique pendent et ponctuent l’espace d’exposition, comme autant d’étapes sur un Chemin de croix réinventé.
Au centre de la salle, sur un socle bas, repose un masque aux yeux clos. Les traits du visage, par leur calme et leur simplicité, sont empreints d’une sorte d’éternité qui aurait plu à Brancusi. Le spectateur peut tourner autour de cette forme, dans une configuration qui ressemble fort à celle d’un tombeau avec gisant.
Dans «And Rose Again» (titre de l’exposition extrait d’un passage de l’Evangile sur la Résurrection), les Å“uvres, ainsi que leurs techniques, tracent une réflexion sur le temps et la mémoire.
D’une part, un procédé que l’artiste appelle le «virage chromatique» permet de brouiller la lisibilité des photographies, comme recouvertes d’un voile. D’autre part, rares et limitées à des tons rose pâle, les couleurs matérialisent des atmosphères diaphanes.
Dans les petits objets en céramique que Laëtitia Benat façonne, c’est d’abord la couleur blême de la terre non émaillée qui saute aux yeux. Chacun des artefacts se caractérise par une forme abstraite: certaines sont élémentaires (comme le ruban de Moebius), d’autres renvoient à des époques primordiales (comme le bol). Toutes sont évidées, comme pour suggérer un manque ou une perte. Présentés dans un dispositif qui rappelle les vitrines des musées d’histoire naturelle et d’archéologie, ces objets renvoient à un temps lointain, quasi-préhistorique. N’ayant pas le même degré de finition, leurs différents aspects renvoient à des stades de conservation et des strates temporelles successifs.
Enfin, dans une dernière photographie représentant une Ophélie au bain, la transparence d’un ruisseau dévoile l’extrême blancheur d’un corps nu. L’allusion au jardin d’Eden est évidente mais le paysage n’est pas aussi lisse qu’on pourrait le croire à première vue: sombre et pesant, il pourrait vite tourner à la menace. Plus fantôme que femme, ce personnage féminin rappelle ceux qu’affectionnaient les peintres symbolistes mais aussi les romanciers Gustave Flaubert et Virginia Woolf.
Laëtitia Benat semble moins s’intéresser au corps vivant qu’à ses traces résiduelles, fantomatiques. Enveloppes vides et silhouettes désincarnées lui permettent de sublimer tout le mystère du corps et d’inviter le spectateur à méditer sur son propre devenir.
Å’uvres
— Laëtitia Benat, Sans titre, 2011. Grès émaillé. 25 x 12 x 11 cm
— Laëtitia Benat, Sans titre (Ignaz Schiffermüller + Henri Cartier Bresson), 2011. Collage numérique. 22 x 15 cm
— Laëtitia Benat, Sans titre, 2009. Photo. 40 x 60 cm