Rainier Lericolais, Virginie Barré, Loris Gréaud, Daniel Firman, Dewar & Gicquel
Amorce(s)
Le titre de l’exposition suggère d’emblée l’une des principales missions de la galerie Édouard Manet, qui est de favoriser l’émergence d’une scène artistique française. Elle offre à de jeunes artistes les moyens et les conditions d’une première exposition personnelle dans un centre d’art d’Ile-de-France. Ainsi, depuis quelques années, se sont succédés, pour les artistes dont une œuvre a rejoint la collection de la ville : Rainier Lericolais, Virginie Barré, Loris Gréaud, Daniel Firman, Dewar & Gicquel.
Cette exposition amorce une réorientation des missions du Fonds municipal d’art contemporain de la ville, avec la restitution publique systématique des acquisitions récentes dans le cadre de présentations ponctuelles. C’est d’ailleurs, comme pour chacune des expositions, l’occasion d’entreprendre un travail de médiation de proximité, de faire valoir en quoi les artistes donnent du sens, en quoi leurs œuvres apportent des éléments pour une meilleure compréhension de notre contemporanéité.
Mais c’est aussi, quand on connaît aujourd’hui le parcours de certains des artistes présentés, le moyen de rappeler que la périphérie et ses équipements culturels sont incontestablement des terreaux de création, des lieux d’expérimentation et des outils dynamiques des politiques culturelles. Collectionner les œuvres des artistes exposés, c’est en quelque sorte s’inscrire pour Gennevilliers et ses habitants, dans une histoire à laquelle ils sont pleinement associés.
« Amorce(s) » révèle a posteriori la cohérence plastique et artistique des dernières acquisitions. Au-delà des spécificités de chacune, outre le caractère d’évidence des deux dessins de Virginie Barré, toutes les œuvres entretiennent une relation indéniable à la ligne et au graphisme. La sculpture de Daniel Firman (Tubless, 2006) apparaît comme une incise lumineuse rouge et verticale contrecarrée par l’horizontalité du trait sombre et épais de la chambre à air. Les linéaments du dessin à la colle de Rainier Lericolais (Mariée, 2003), les volutes de fumée de la vidéo de Loris Gréaud (Projection, 2003) ainsi que l’agencement aléatoire des éléments de la photographie de Pierre Savatier (Fils et perles, 2006), procèdent tous du développement d’arabesques dans l’espace. Il en va de même pour la sculpture de Dewar & Gicquel (Black Spinner, 2006) qui, du mur où elle est suspendue, glisse nonchalamment au sol, en une courbe et contre-courbe. Le pipeline et les brises lames photographiés par Raphaël Zarka correspondent à autant de figures géométriques primaires et universelles : le triangle et le cercle, la pyramide et le cylindre.
Ces trois dernières œuvres pointent également le “devenir sculpture” de l’objet et s’inscrivent dans une certaine tradition de la modernité. Black Spinner procède par reproduction et agrandissement d’un leurre de pêche – une cuillère –, alors que le point de vue adopté par Raphaël Zarka inscrit l’objet industriel photographié – là un pipeline, ici des blocs de béton en forme de tétraèdre –, comme sculpture dans le paysage.
Bien d’autres rapprochements formels seraient encore possibles. Ainsi de la relation à la lumière qui constitue un dénominateur commun entre Projection de Loris Gréaud, Fils et Perles de Pierre Savatier et Tubless de Daniel Firman, ou du motif de la perle qui apparaît comme un trait d’union visuel entre les pièces de Pierre Savatier et de Dewar & Gicquel.
Enfin, certaines œuvres sollicitent la participation du spectateur dans l’élaboration d’une narration ou l’interprétation d’un fait plastique et d’un effet visuel. Les dessins de Virginie Barré fonctionnent comme autant d’arrêts sur image pour laisser place à la construction d’un récit selon le principe du montage cinématographique. La photographie de Pierre Savatier induit l’illusion d’un embrasement alors qu’il y est pourtant exclusivement question de captation de la lumière. Quant à la vidéo de Loris Gréaud, par le dédoublement de son motif en symétrie – des exhalations de fumée –, elle fonctionne selon le principe du test de Rorschach pour nous entraîner dans les méandres de la contemplation d’une hallucination préfixée, et de son interprétation délirante.
L’ensemble des œuvres exposées, toutes empruntes d’une subtile élégance, crée ainsi le paysage, le cadre d’une déambulation visuelle et physique qui, nous l’espérons, sera le détonateur et l’initiateur d’une nouvelle relation à la création contemporaine dont l élaboration et l’invention se font au jour le jour, près de chez nous et avec nous.