Pièce pour sept interprètes, Scena madre*, de la chorégraphe Ambra Senatore, entretisse des fragments. Bribes de textes, de musiques, de mouvements, Scena madre* crée une texture composite. Entre danse, cinéma et théâtre, au fil de la pièce se succèdent les saynètes. Comme autant d’univers qui s’enchainent, avec quelques secondes pour convaincre, se faire reconnaitre, puis disparaitre. Et à l’instar d’un zapping télévisuel, se forme alors une autre histoire, une méta-histoire reliant les fragments. Une narration faite d’ellipses et d’interprétations. Sauts, switches et entre-scènes tiennent les spectateurs en haleine. Crée pour le festival d’Avignon 2017, Scena madre* fait ainsi naître contextes et micro-histoires. Rire, absurdité, intensité… Ambra Senatore et ses danseurs jonglent avec les émotions, les rythmes, pour une pièce en forme de condensé énergétique, presque cinématographique. Peut-être en lien avec l’essai de Giovanna Grignaffini, La scena madre (2002), sur la composition des scènes-clefs, par genre, dans le cinéma.
Scena madre* d’Ambra Senatore : une spectacle fragmenté, multiple, enlevé
Succession de bandes-annonces, de publicités, ou de micro-vidéos d’artistes, le bout à bout entraine les spectateurs dans un exercice de décalage. À chercher la logique reliant les éléments entre eux, se met en place un jeu entre au moins deux niveaux de lecture. Celui de la réception en temps réel des éléments chorégraphiques, et celui qui consiste à chercher un lien logique entre les éléments. Sorte de cadavre exquis rapide et rythmé, Scena Madre* emporte la salle dans son sillage. Décor épuré, sinon vide, la lumière, la musique et les danseurs sont ceux qui font naître les évocations de situation. Esquisses incertaines, fulgurantes, drôles, floues, pointues… La chorégraphe Ambra Senatore sculpte l’attention, les mouvements de focale. Avec légèreté, les danseurs glissent d’une dimension à l’autre. Les dynamiques chorégraphiques s’entrechoquent, se répondent, se freinent, s’accélèrent entre elles.
Un spectacle de danse contemporaine en forme de rébus cinémato-chorégraphique
Il y a de l’absurde mi-comique, mi-inquiétant, dans cette succession dansée. Entre zapping-travelling (radio, télévision) et rebond-sérendipité (internet), Scena-madre* jongle avec l’aléatoire et l’intentionnel. Quelques secondes de suspens à la Hitchcock, quelques secondes de dialogue quasi-beckettien, quelques secondes de film d’auteur, quelques secondes de western… L’enchainement forme un tissage serré. Mais si la maille narrative est compacte, c’est pour mieux souligner la polysémie des articulations. Sur une création musicale de Jonathan Seilman, Scena madre* ne connait pas les temps morts. Ludique par son pouvoir d’évocation, une complicité s’installe alors dans la salle : il s’agit presque de deviner ce qui se joue. Pièce enlevée, comme un rébus à réponses multiples, scène-mère (ou scène-clef) enchaine les éléments de contexte. Typologique cinémato-chorégraphique libre, Scena madre* offre ainsi une plongée dans le montage séquentiel. Et la mémoire des spectateurs devient lieu de superposition, lieu de création d’une autre histoire.