DESIGN

Ambassadrice du style

PRuth Gurvich
@29 Nov 2010

En un peu plus de 30 ans, Andrée Putman a bâti une œuvre singulière et protéiforme, mélange de douceur et de rigueur géométrique. L’exposition que lui consacre la Mairie de Paris est autant un portrait de la créatrice qu’un panorama de son œuvre.

Designer, architecte d’intérieur, (ré)éditrice d’objets… Difficile de résumer le parcours d’Andrée Putman à un titre. La Mairie de Paris a donc choisi celui d’ambassadrice du style. Un qualificatif étrange pour une créatrice qui a su s’affranchir des diktats d’un certain (bon) goût français pour inventer un style bien personnel.

L’exposition s’ouvre sur un portrait en image: les années d’enfance, consacrées à l’étude de la musique, les premiers projets d’aménagement (la demeure familiale de Grimaud et l’appartement de Michel Guy à Saint Tropez), l’aventure Prisunic, aux côtés de Denise Fayolle et Maïmé Arnodin, suivie de six années au sein du bureau de style Mafia. Enfin, dans les années 70, la création du groupe Créateurs et Industriels, avec Didier Grumbach. Déjà 50 ans d’une vie bien remplie, marqués par un appétit de découvertes, d’expérimentations et de liberté. Dans le bouillonnement d’une époque audacieuse, Andrée Putman met son regard au service de ceux qui font bouger les choses. Mais elle n’a encore rien signé en son nom propre.

En 1978, c’est la création d’Ecart, évoquée ici par une sélection de meubles emblématiques: la chaise ressort de René Herbst, le miroir Satellite et le fauteuil Transat d’Eileen Gray, un fauteuil de Robert Mallet-Stevens… Au-delà de ces représentants du modernisme, Ecart réédite quelques créateurs inclassables comme Mario Fortuny ou Jean-Michel Frank. L’œuvre de ce dernier aura en particulier une profonde influence sur son travail: par son dépouillement, et un sens de l’élégance déconnecté de la richesse des matériaux.

Avec ces choix de réédition, Andrée Putman montre qu’elle se soucie peu des frontières entre design et arts décoratifs, voire des frontières tout court… Ce n’est donc pas un hasard si c’est New York qui la propulse sur la scène de l’architecture d’intérieur: en 1984, l’hôtel Morgans lui demande d’aménager son adresse de Madison Avenue. La salle de bain qu’elle imagine à cette occasion est ici reproduite à échelle réelle, avec son fameux carrelage formant un damier noir et blanc. Comme le souligne le cartel: «l’Amérique la croyait célèbre à Paris, elle le devient grâce à Manhattan». Cet espace constitue hélas la seule reconstitution de toute l’exposition. Pour le reste, il faut se contenter de trois diaporamas, ou tenter d’imaginer les objets présentés dans leur environnement originel: le paravent en résille métallique dans l’univers minéral du CAPC, les meubles du bureau de Jack Lang dans le décor Empire de l’hôtel de Valois…

Cette succession d’objets et d’images traduit un langage cohérent mais jamais répétitif, reconnaissable mais de manière subtile. A contre-courant de l’esprit cocooning et de ses formes molles au ras du sol, Andrée Putman conçoit des espaces où le confort, envisagé avant tout sur un plan visuel, se conjugue à la rigueur géométrique dans une recherche de sérénité et de douceur. Les typologies ont tendance à se brouiller: hôtels, bureaux, appartements privés, les lieux qu’elle imagine semblent toujours «habités», comme autant d’extensions d’un même environnement personnel.

On progresse d’ailleurs dans l’exposition avec le sentiment de découvrir une oeuvre qui constitue le portrait fidèle de sa créatrice. Sa voix, portée par les projections vidéo qui ponctuent le parcours, nous accompagne de part en part sous la nef de la Salle Saint-Jean. En l’écoutant évoquer sa carrière, ou en suivant ses pas sur le chantier d’une maison à Tanger, on se dit qu’Andrée Putman obtiendrait sans nul doute tous les suffrages pour ce rôle d’«ambassadrice» que lui prête l’exposition. Mais qu’en pense l’intéressée? Sollicitée pour rédiger la préface d’un livre intitulé L’Art de vivre en France, elle écrivait en 1987: «Nous devons savourer notre culture à petites gorgées ; avalée d’une traite, elle serait « vénéneuse » — un excès qui transforme les gens en idiots paralysés par le respect. Si nous apprenons à trier, à sélectionner au lieu de simplement tout accepter, le goût et le « style français » peuvent avoir alors une fascination étonnante». Plus rénovatrice qu’ambassadrice, Andrée Putman a su s’acquitter de cette mission avec brio.

Andrée Putman
— Portrait, 2010.
— Hall d’entrée du Morgans Hotel, 2008.
— Salle de bains de l’hôtel Morgans, 1984. Damier de grès cérame de 10 × 10 cm, vasques en métal.
— Appartement privé, salle de bain. San Sebastian.
— Design de la boutique Guerlain, 2005. Champs-élysées, Paris.
— Canapé Crescent Moon, 2003. Collection Préparation meublée.
— Piano demi-queue Voie lactée, 2008 à Paris. Créé pour Pleyel avec Stephen Paulello.

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