A la galerie Praz-Delavallade, les œuvres de Marc Bauer imbriquent librement histoire collective et personnelle, réalité et fiction. Un point de départ comme un nécessaire fil d’Ariane, le thème de l’Ambassade, permet à Marc Bauer de dérouler son travail autour de la question de la mémoire et des rapports de pouvoir, du collectif et du privé, sous formes de bribes, par superpositions d’impressions.
L’artiste construit une narration à partir d’éléments variés. Il glisse d’une époque à l’autre, associe librement des images qui prennent sens au terme d’un jeu d’écho entre les œuvres.
Il reproduit ainsi sous forme plastique le fonctionnement de la mémoire, qui, en tissant des liens entre des faits construit aussi bien l’identité, les connaissances, l’intelligence, et l’affectivité de chacun de nous.
«La réalité est ce que nous percevons de notre environnement immédiat. C’est une construction mentale. L’Histoire et la moralité sont aussi des constructions», déclarait Marc Bauer en exergue de son précédent travail, le cycle «History of Masculinity». On devinait déjà des sources diverses, comme autant de collages de mémoires. Une semblable recherche semble nourrir le travail d’Ambassade.
Autre point commun avec le cycle «History of Masculinity»: la réflexion sur la figure de l’homme, qui apparaît dans des postures extrêmes, révélatrices d’une violence tantôt latente, tantôt exacerbée. Avec «Ambassade», Marc Bauer dresse de nouveau le portrait d’une figure masculine et autoritaire, père ou bourreau.
La première salle de la galerie est centrée sur l’ambassade comme lieu. Les dessins exposés ont été effectués au crayon noir, ce qui confère aux sujets une grande force d’expressivité, tout en permettant à l’artiste de brouiller et flouter certains éléments, leur attribuant leur caractère onirique. Certains dessins ont été réalisés à l’ambassade de Suisse à Paris.
L’un des dessins représente un lustre, magnifié par un halo de lumière, comme le symbole du faste de l‘Ambassade. A ses côtés, la représentation d’un lit défait, dans une chambre à la porte entrouverte, plonge le visiteur dans une intimité mal délimitée. Une grande impression digitale représente une nature morte. Elle se réfère à Peter Claesz, peintre hollandais du XVIIe siècle. Marc Bauer interroge avec cette impression l’image d’un réel parfaitement fixé et mis en ordre.
La deuxième salle mélange histoire intime et Histoire. L’image masculine est déclinée par Marc Bauer, sous forme de petits dessins successifs au crayon noir, encadrés ou non, plus ou moins flous, plus ou moins identifiables. Les différents ensembles de dessins sont des narrations morcelées, rappelant le fonctionnement de la mémoire, questionnant au final la virilité, plus précisément une virilité guerrière et militaire.
Dans le second espace rue Duchefdelaville, Marc Bauer présente un groupe de grands dessins muraux qui semblent être directement issus de ses souvenirs d’enfance. Ceux-ci évoquent les rapports de force au sein de la cellule familiale, d’où surgît la figure autoritaire du père. Sur l’un des murs, un homme tient un enfant, tête renversée, par la jambe. Sur un autre, un profil masculin est ébauché d’un trait nerveux, vraisemblablement le visage du père. Le trait noir des dessins, vigoureux, exprime une violence sourde à peine contenue, brutalité renforcée par le choix de l‘artiste de dessiner à même les murs.
«L’allure noble qu’on appelle ironiquement un pas d’ambassadeur», notait avec finesse Honoré de Balzac dans son roman Gambara. Avec Ambassade, Marc Bauer creuse l’image ambivalente de la noblesse masculine et guerrière, de l’obéissance aux codes jusqu’à la cruauté la plus incontrôlée.
Marc Bauer
— Bed, 2009. Crayon noir et graphite sur papier. 210,5 x 151 cm.
— Chandelier, 2009. Crayon noir et graphite sur papier. 210,5 x 151 cm.
— Life, 2009. Impression digitale. 300 x 220 cm.
— Stone, 2009. Crayon noir et graphite sur papier. 210,5 x 151 cm.
— Untitled, 2009. Crayon noir et graphite sur papier. 35 x 48 cm.
— Fish, 2009. Crayon noir et graphite sur papier. 210,5 x 151 cm.
— Portrait IV, 2009. Crayon noir et graphite sur papier. 68 x 68 cm.
— Liora & Zacharia, 2009. Crayon noir, crayons de couleur et graphite sur papier. 44 x 57 cm.
Publications
Marc Bauer, Over the Great Canal, Daniel Kurjakovic, Memory/Cage Editions, 2001.