Comme l’an passé, il revient à Tacita Dean d’ouvrir la saison chez Marian Goodman. Ce qu’elle fait avec une unique pièce, projetée dans une salle de rez-de-chaussée inhabituellement obscure : le film 16 mm est muet, dure une cinquantaine de minutes, et épouse un format anamorphique oblong, que coupe une ligne d’horizon instable entre ciel et mer.
Le cadre au contour flou évoque une meurtrière horizontale, par où se glisse le regard d’un spectateur que le dispositif embarque pour une traversée de la Manche, de Calais à Folkestone, à bord d’un modeste chalutier. Le ronronnement cliquetant du projecteur semble se substituer au moteur de l’Amadeus, dont tangage et roulis se répercutent dans l’image.
Cette épopée désuète à l’heure de l’Euro Tunnel tente d’éprouver une insularité, presque oubliée, devenue quasi virtuelle. L’image oscillante soumise aux aléas de la houle est d’autant plus arbitraire que le cadre saisit tour à tour, et sans raison apparente, des motifs (ferry immobile dans le lointain, guirlandes de lucioles dans la nuit, mouettes au ras des flots, …), ou leur absence (l’obscurité all over d’avant l’aube, le monochrome mouvant des flots gris aux aurores…).
Dans un balancement chaotique, entre abstraction et marines façon Le Gray, ces revirements de bords, qui inversent le sens de la marche, et désorientent sans péril, minent l’impuissance de l’image à restituer l’expérience d’un entre-deux, d’une parenthèse hors du temps. Dans l’attente distraite d’un événement qui surgirait d’un hors champ toujours repoussé, le spectateur-passager laisse filer ses rêveries au fil des flots couleur huître, en pensant, peut-être, aux centaines de clandestins qui chaque jour éprouvent, eux, physiquement, l’insularité bien réelle de leur Eldorado.
Tacita Dean
Amadeus (Swell Consopio), 2008. Film 16 mm, muet, couleur. 52 min.