On ne peut s’empêcher de lire les textes qui s’offrent à nous et pourtant les œuvres de Kay Rosen nous forcent à prendre de la distance. Le regard doit avant tout apprécier les rythmes et les couleurs et se laisser aller à une expérience visuelle inhabituelle.
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Une grande peinture se déploie sur le mur et semble accentuer la profondeur de la pièce. PNUUMLDE , inscrit dans deux tons de gris différents, se détache de la surface blanche de la cimaise. Les lettres ondulent comme une vague en alternant leurs couleurs et leurs corps de plus ou moins grande taille.
A première vue, aucune signification apparente, mais peu à peu nos yeux amorcent un va et vient de gauche à droite, de l’extérieur du mot vers l’intérieur.
Un nouveau titre apparaît alors. PENDULUM , le pendule. Le mot fait image et prend du sens non par ce qu’il dit lors de la première lecture mais par le mouvement opéré inconsciemment par notre regard. L’artiste joue avec nous et insuffle de l’humour et de la poésie à une œuvre d’aspect minimaliste. Elle s’approprie l’espace de la galerie mais aussi celui de notre lecture.
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Les toiles de Kay Rosen se mettent en scène et se positionnent en fonction de ce qu’elles représentent. CLIMB, LIMB , LIMB, LIMB est accroché en hauteur et laisse entrevoir une possible ascension alors que TILTS, STILT, STILT, STILT est posé au sol et légèrement incliné par rapport à la paroi qui la supporte.
Les mots flottent et investissent le vide qui est autour de nous.
Kay Rosen nous amène à voir autrement sans nous contraindre avec violence. Par une manipulation extrêmement ténue elle expose indirectement les mécanismes de la pensée.
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Deux textes sont écrits face à cette œuvre. Ils sont espacés par une petite toile rectangulaire présentant simplement le mot «même».
Kay Rosen laisse entendre que les deux paragraphes sont identiques mais, à y regarder de plus près, on note que la ponctuation n’est pas similaire. Les intonations dictées par les guillemets et les points d’exclamation changent la signification de l’ensemble. Par ce jeu de langage, l’artiste montre que deux œuvres qui utilisent des composants analogues n’ont pas pour autant un sens équivalent. La moindre modification de mise en forme, aussi subtile soit-elle, peut changer le message.
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Plus loin un cadre blanc présente BLUISH. Toutes les lettres sont roses sauf le «i». Plusieurs possibilités sont offertes au spectateur. Il peut lire le mot dans sa totalité et le traduire par «bleuâtre», ou bien ne sélectionner que les lettres roses et interpréter l’œuvre comme une injonction : «Rougissez».
Le choix des couleurs n’est pas anodins. Kay Rosen joue avec l’enveloppe et son contenu. Les tons utilisés sont à l’image de ce qu’ils signifient. Doit-on rougir d’avoir été dupé ou bien sourire pour le tour de force réalisé une fois encore ? Le langage est bien plus pour elle qu’une simple codification formelle. C’est avant tout une expérience, le hasard d’une rencontre entre les mots qui font œuvres et les personnes qui les regardent.
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La distance que nous pourrions avoir face à un tableau composé de formes et de couleurs identifiables ou non est ici restreinte. Il faut lutter contre notre volonté de lire et d’interpréter les écrits qui sont exposés. Peut-on considérer les mots comme de simples éléments plastiques ? Peut-on rapprocher les intentions de Kay Rosen de celles des peintures cubistes qui ont cherché autrefois à introduire les lettres dans leurs peintures comme de simples figures ?
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Du point de vue de la linguistique, qui est le domaine de formation de l’artiste, ses œuvres sont à la frontière entre le jeu de mot et la poésie. Elle vise à ébranler le regard, à réveiller les consciences. Seul le langage est utilisé comme matière première, dépouillé de tout artifice. Les lettres s’ordonnent et se livrent dans leur nudité sans pour autant être vides de sens. En fonction du contexte, du temps passé par le spectateur à les survoler de manière superficielle ou à les décrypter en profondeur, les œuvres exposées prennent tour à tour différents visages.
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Kay Rosen implique les visiteurs de deux manières différentes. Dans leurs approches communes, ils abordent les productions de l’artiste par le biais de la lecture, phénomène cognitif linéaire. Mais très vite une distanciation s’opère et la singularité de chacun d’entre eux les amène à entrer dans les compositions plastiques de manière plus poétique et plus personnelle.
Kay Rosen
— Up and Down Paintings. 4 panneaux peints sur toiles. 98,43 x 71,12 cm
— H – And W – Shaped Words / L – And S – Shapped Words, 2002. émail peint sur toile. 54,29 x 60,96 cm
— Why Yes Yves, 1993. émail peint sur toile. 19,05 x 106,68 cm
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