Mais qu’est-ce qui fait tourner le monde aujourd’hui? L’argent, l’argent encore et toujours! s’empresserait-on aussitôt de répondre, un brin réactionnaire, un brin aigri. La vidéo Kamel projetée à même le sol de la galerie, sur un écran plat, montre la main du galeriste faisant tournoyer une pièce de deux euros sur sa tranche. Perdant de sa vitesse, la pièce titube et finalement bascule. Soit pile. Soit face. Aussitôt, la main ressaisit la pièce et la relance, convulsivement. Car si l’argent fait tourner le monde aujourd’hui, c’est d’abord parce qu’il a su faire tourner les têtes. Et la rotation indéfinie de cette petite pièce de monnaie semble alors bien démontrer le pouvoir de fascination qu’a l’argent sur nos mentalités.
Côté pile. Une image monumentale trône au milieu de la galerie, prenant tout le pan d’un mur: il s’agit de l’usine de Pessac en Gironde, où l’on fabrique justement les pièces de monnaie. Le lieu est totalement déshumanisé, aucune silhouette humaine n’y est présente. Les ateliers sont déserts. L’espace est scrupuleusement découpé en différents ateliers, des boxes s’articulent les uns aux autres, accueillant d’immenses bras robotisés ou d’imposantes machines. L’espace parait méticuleusement pensé. Quelque chose d’implacable s’en dégage, dénotant ainsi le pouvoir établi de l’argent.
Côté face. A cette vue globale d’une usine totalement mécanisée, vient répondre le portrait d’une jeune femme brune, Agnès. Solitaire, recroquevillée sur elle-même, vêtue d’un simple débardeur et d’un jean, elle s’affaire pudiquement à recompter ses derniers deniers. On observe sur la table située face à elle des petits tas de pièces rouges qu’elle constitue. Ainsi, chaque pile de centimes demeure un trésor précieux pour qui gagne durement sa vie. La valeur que l’on prête aux choses tient donc à leur rareté.
Cette exposition s’articule également autour du clip All-in du rappeur français Booba. Le clip jouit d’une esthétique assez froide et extrêmement léchée, et met une nouvelle fois l’usine de Pessac à l’honneur, en nous montrant les mécanismes de fabrication des pièces. L’interprète débite son «flot», tandis que les machines martèlent des pièces à l’effigie du rappeur, suivant le rythme infernal de la grosse caisse.
C’est efficace et musclé. Les travelings dans l’usine sont méticuleusement montés. Des gros plans s’effectuent sur les pièces, dont les faces sont gravées par une pointe reproduisant le profil du rappeur. Tout est bien huilé, tranchant, brillant. Mohamed Bourouissa réalise ainsi un pur travail d’orfèvre. A la conclusion, une pluie de pièces vient s’abattre dans une salle luxueuse et désertée, où a visiblement eu lieu une fête. En tombant, les pièces fracassent les verres, les cendriers et les bouteilles.
Nous retrouvons d’ailleurs quelques pièces frappées à l’effigie de Booba dans l’installation Le Stock, ainsi que dans Pile et Face. Confectionnées avec le soutien de la Monnaie de Paris pour la dernière édition de la Nuit Blanche, et vendues alors au prix de deux euros, les pièces restantes apparaissent ici comme une édition limitée, étant les derniers exemplaires disponibles. Mohamed Bourouissa met ainsi en avant le procédé de raréfaction d’un objet, qui le rend d’autant plus cher et désirable.
Un drôle de commercial vient d’ailleurs nous donner une cours particulier de marketing et d’économie. Vêtu d’un costard, arborant une ceinture d’une grande marque de luxe, un mobile à la main, il fait défiler les schémas sur un Power-Point. Confiné dans son bureau, on perçoit mal son visage, comme si les choix d’éclairage et de cadrage voulaient le rendre justement anonyme. Sûr de lui, efficace et pragmatique, il file droit eu but en nous apprenant quelques rouages essentiels du métier.
La vidéo La Valeur du produit revient donc sur quelques notions élémentaires du commerce. Quels facteurs déterminent le prix? Comment fidéliser le client? Comment accroitre ses performances et créer une demande? Comment gagner un maximum en un minimum de temps, et évaluer les risques? Autant de questions auxquelles notre peu scrupuleux commercial apporte des réponses éclairantes. Certainement de bons conseils à suivre pour qui veut faire fortune.
Au cynisme des grands commerciaux vient répondre une installation pour le moins sarcastique. Mohamed Bourouissa a collaboré avec David Hominal pour créer Un poids deux mesures. Le titre de l’installation parait bien ironique en ce qu’il détourne et déforme un dicton populaire, montrant par là que la valeur de l’argent est toute relative. Deux visuels se trouvent ici accrochés aux extrémités d’un bras tournant, suspendu au plafond de la galerie. L’une reprend une vue d’usine, avec une photo de machine. L’autre est une peinture de David Hominal, ou disons carrément une véritable «croûte», représentant sous des traits volontairement grossiers une immonde patate.
Å’uvres
— Mohamed Bourouissa, Stock 1, 2013. Blue back print glued directly on the wall. Variable dimensions
— Mohamed Bourouissa, Le Stock, 2013. Installation, caisse en métal soudé et bois contenant 20 diptyques (Pièces de monnaie en laiton soudées sur plaques d’acier). 70,5 x 110,5 x 91 cm
— Mohamed Bourouissa, Un poids deux mesures, 2013. Contreplaqué, aluminium, tirage dos bleu, huile sur toile, acier, moteur de boule à facettes. Dimensions variables
— Mohamed Bourouissa, Kamel, 2013. Vidéo couleur. 1 minute 20. Écran plasma posé au sol
— Mohamed Bourouissa, Le commercial, 2013. Installation. 3 tirages lambda découpés contrecollés sur dibond. Dimensions variables
— Mohamed Bourouissa, All-In, 2012. Vidéo couleur. 5 minutes 41. Coproduction kamel mennour / La Monnaie de Paris
— Mohamed Bourouissa, Agnès, 2013. Tirage lambda contrecollé sur aluminium. 64 x 50 cm