La première chose qui frappe en pénétrant dans la galerie Zürcher ce mois-ci, c’est une étrangeté dans la logique de l’accrochage. La rationalité qui préside ordinairement à l’adéquation des œuvres avec un pan de cimaise, à la proximité de petits ou grands formats, ou à la mise en évidence d’un effet de série, a cédé la place à un autre type de cohérence.
Il faut être attentif aux détails pour comprendre comment cette mise en place insolite relève d’une stratégie narrative, fonctionnant sur le modèle du rébus, du renvoi graphique, ou du glissement de figures signifiantes.
D’un dessin à un collage, ou d’une toile de grand format à sa voisine aux proportions réduites, c’est toute une grammaire solitaire qui s’élabore, grammaire inédite qui ne tient toutefois pas le spectateur à distance.
Tout ici, depuis le traitement « dessiné » de la peinture, jusqu’à l’aplatissement des figures envisagées sur le mode bidimensionnel non illusionniste, en passant par l’abandon des contraintes du réalisme perspectiviste, renvoie à l’esthétique propre aux dessins d’enfants.
Le sens de ce qui est figuré prime sur sa dimension de valeur plastique et le projet fondamental est celui de faire comprendre «visiblement» un discours, une histoire, un mythe individuel et fondateur. Ce n’est que dans un après-coup du regard que la cohérence plastique impose une logique, au-delà de l’innocence du dispositif initial du travail.
Très proche en cela des caractéristiques de l’Art Brut, le travail de Judith Ström n’est cependant pas sans faire penser à l’esthétique des dessins de Klossowski (les portraits), de Louise Bourgeois (les collages), ou de Dubuffet (les volumes striés). C’est donc une œuvre indépendante des effets de réminiscences involontaires qu’elle suscite, que construit l’artiste, une œuvre qui n’est ni savante, ni référencée, ni inscrite dans une perspective historique d’héritage.
Fort de cette insouciance opératoire, le travail présenté par la galerie Zürcher se caractérise par une grande liberté prise face aux conventions visuelles. La frontalité que conditionne la structure naturaliste propre à une logique anthropomorphique du regard est délaissée, au profit d’un jeu permanent entre le devant et le derrière, le plein et le creux, le dessus et le dessous, le reflet et l’inscrit.
Si bien que c’est une véritable cartographie des rêves et des cauchemars que Judith Ström parvient à construire, installant systématiquement son autoportrait endormi au cœur d’une tornade elliptique. Un réseau de renvois entre calligraphies personnelles, figurations et taches met en place un univers onirique que seule la mixité des propositions peut rendre visible.
Les détails dialoguent avec la fuite infinie des tracés au-delà des cadres, la précision des figures s’articule à l’indétermination des graphismes. De ces croisements inattendus émane le charme d’un imaginaire singulier, rafraîchissant par l’absence déterminée de toute volonté démonstrative ostentatoire. Judith Ström fabrique des images davantage pour bâtir les fondations d’un univers qui la rassure et l’exprime, que pour construire un point de vue sur le monde. Elle peint le regard clôt, le point de vue du spectateur est hors-jeu.
Judith Ström
— Roulette, 2005. Acrylique sur toile. 200 x 200 cm.
— Sans titre, 2005. Dessin à l’encre et crayons de couleur sur papier. 41 x 62 cm.
— All down Hill, 2005. Acrylique sur toile. 200 x 200 cm.
— Sans titre, 2005. Dessin, technique mixte sur papier. 41 x 41 cm.
— Sans titre, 2005. Dessin, technique mixte sur papier. 105 x 69 cm.
— Every neglected dream, 2005. Acrylique sur toile. 200 x 290 cm.
— Sans titre, 2004. Deux dessins, au crayon et papier découpé sur papier. Chacun : 42 x 29 cm.
— Sans titre, 2005. Acrylique sur toile. 130 x 130 cm.
— Hidden Place, 2003. Acrylique sur toile. 180 x 130 cm.
— The Wonderwall, 2005. Acrylique sur toile. 255 x 140 cm.
— Every useless fear, fly me to the moon, 2005. Acrylique sur toile 70 x 70 cm. `
— Sans titre, 2005. Acrylique sur toile. 160 x 160 cm.
— Per, 2005. Acrylique sur toile. 130 x 130 cm.
— Chesshorse, 2005. Acrylique sur toile. 130 x 130 cm.
— All down Hill, 2004. Acrylique sur toile. 130 x 130 cm.