Céline Piettre. Pourquoi cette collaboration avec Agata Maszkiewic? Qu’est-ce qui vous rapproche, artistiquement parlant?
Alix Eynaudi. Agata Maszkiewic et moi avions déjà travaillé ensemble, en 2008, pour la performance Big 3 Episode (Happy/End) du collectif d’origine autrichienne Superamas, et sur le projet Komposition, co-réalisé avec Anne Juren et Marianne Baillot. De fait, on s’est retrouvé à passer beaucoup de temps toutes les deux, en tournée, et on s’est progressivement rendu compte, à force de se côtoyer, qu’on avait beaucoup de points communs. L’un deux, à l’origine la pièce Long Long Short Long, est cette importance accordée à la mise en contexte de la danse.
En 2008, vous décidez de réaliser ensemble un film: The Visitants? De quoi parle t-il?
Alix Eynaudi. The Visitants met en parallèle le body building et une technique quasi thérapeutique utilisée par les danseurs, l’Authentic Movement. Cette pratique a une ambition de développement personnel. Elle aide à identifier des comportements, des attitudes, des habitudes physiques afin de pouvoir éventuellement les changer. On avait envie de la confronter au Body Building, qui est aussi une technique d’amélioration de soi mais visible, et qui est pratiquée justement dans ce but là : de visibilité. Le Body Building est un travail physique, comme la danse. Il y a des parallèles et des différences…
The Visitants est un peu un film de science-fiction. L’une de nous a les yeux fermés (en référence à l’Authentic Movement justement, qui se pratique les yeux clos) et l’autre la regarde agir. Puis un dialogue s’instaure sur ce qui a été fait et vu, selon la logique de reportage au sens littéral du terme: l’action de recueillir, de raporter les faits.
Ya t-il un lien entre ce premier film et la pièce Long Long Short Long Short présentée à la Ménagerie de verre, dans le cadre du festival Les Inaccoutumés 2010?
Alix Eynaudi. Oui. Le film va faire partie de la pièce. Elle lui emprunte cette dramaturgie du reportage. Chacune de nous fait une proposition dansée sur scène et raconte à l’autre ce qu’elle a vécu, mais hors cadre, dans les coulisses. Le public peut nous entendre. Ainsi, en alternance, on endosse le rôle de reporter, à part qu’il s’agit d’un reportage sur nous même. Voilà la situation de base. Elle revient à questionner ce qu’on pense quand on fait, quand on danse.
Dans Long Long Short Long Short, vous «examinez les différents types de relations» qui se créent sur scène. De quelles relations s’agit-il?
Alix Eynaudi. Dans la pièce, on joue à créer des liens entre nous deux, même si on ne peut pas vraiment les définir. Notre relation est sans arrêt remise en question. Il peut s’agir de liens d’amitiés, de liens amoureux mais aussi de liens avec le décor, la lumière, une couleur, qui va être sur un costume, et plus tard dans l’espace scénique… On essaie de tisser des relations entre tous les éléments du spectacle.
Le film projeté à la fin de la pièce fonctionne comme une espèce d’illustration de notre fonction d’ «agent de voyage», entre l’écrit et le dit, entre le fait et le raconté, l’intérieur et l’extérieur (la scène et le hors-scène), le littéraire et le chorégraphique… Tous ces liens qui sont présents sous une forme abstraite pendant le spectacle et qui deviennent plus concrets avec le film.
Cette attention accordée à tous les éléments de la pièce (voix, musique, lumière), n’est-elle pas une façon de démocratiser le spectacle, de faire perdre à la danse son hégémonie?
Alix Eynaudi. Oui, tout à fait. Il est important pour nous de traiter la machine du théâtre de manière démocratique, que chaque élément participe pareillement à la création d’un contexte. Mais comme la danse est notre formation première, l’idée est quand même de créer un contexte pour regarder de la danse, et d’inciter le spectateur à la regarder de plusieurs manières. Et ce jeu qui s’instaure entre nous deux, cette façon de raconter ce qu’on a fait alors que les spectateurs en ont été témoin, permet justement d’envisager la danse selon différents points de vus. Le nôtre et le leur.
Vous êtes dans une espèce de décortication du sens de la danse…
Alix Eynaudi. Oui, mais ce n’est jamais une déconstruction démonstrative, c’est plutôt une accumulation de lectures possibles de sens. Dans cela, c’est plutôt une construction.
Le titre Long long Short Long Short a été trouvé sur internet…
Alix Eynaudi. Agata et moi sommes tombées sur un site internet qui expliquait comment trouver le meilleur titre pour que son livre ait du succès. Il proposait une syntaxe type: syllabe longue, courte, puis longue etc… On a trouvé ça amusant et on a choisi de l’utiliser tel quel !
Il semble correspondre aussi à la structure de la pièce?
Alix Eynaudi. Oui, dans la pièce, il y a des apparitions courtes, d’autres plus longues. Agata et moi sommes rarement sur la scène en même temps.
Ce qui est un peu paradoxal quand on essaie de construire une relation, non?
Alix Eynaudi. Justement, notre pièce essaie d’étendre les limites classiques d’un duo, de les rendre élastiques. Comment le prolonger hors scène, hors cadre? Qu’est-ce que c’est qu’«être ensemble»?
Vous avez des parcours, des techniques, et des âges différents. Agata Maszkiewic est passée par la formation EXERCE au CCN de Montpellier ; vous avez dansé plusieurs années dans la compagnie Rosas… Est-ce que vous jouez de ces différences sur scène?
Alix Eynaudi. On utilise le matériel chorégraphique différemment, c’est certain. Par exemple, je travaille beaucoup à partir de l’’improvisation, Agata beaucoup moins. Mais ce n’est pas l’important ici. Nous souhaitions faire un duo sans qu’il y ait une comparaison entre nos manières de danser, sans qu’elles soient soulignées. C’est pourquoi on a opté, entres autres, pour cette structure où chacune de nous fait un peu son solo – même si tout est choisi ensemble −, est sur scène en alternance.
Sur Long Long Short Long, il y a aussi l’intervention d’autres collaborateurs: Philippe Quesnes, Paula Caspão, David Elchardus et Vincent Tirmarche. Quels rôles jouent-ils exactement?
Alix Eynaudi. Ils d’œil extérieur. On les invitait régulièrement pendant les temps de travail et on leur demandait ce qu’ils voyaient, si cela correspondait à ce qu’on voulait faire. On ne prenait pas en compte toutes les propositions, bien sûr, mais leur intervention nous permettait de mieux envisager l’impact et la progression de notre travail.
Pourquoi privilégier le travail en groupe plutôt que l’écriture en solitaire?
Alix Eynaudi. Oui, je travaille toujours dans le cadre d’une collaboration. Je ne tiens pas vraiment à me définir une identité en tant qu’artiste. Je sais qu’il y a des choses récurrentes dans mon travail mais je n’ai pas forcément besoin de les souligner ou de les rendre visibles. J’ai aussi beaucoup de mal à travailler avec les gens autrement que par l’intermédiaire d’une collaboration. Que quelqu’un travaille pour moi, en tant qu’interprète, me semble un peu aberrant!
C’est votre première venue à la Ménagerie de verre en tant que chorégraphe? Le lieu a-t-il une signification particulière pour vous?
Alix Eynaudi. Oui, c’est un lieu un peu mythique ! J’habite en Belgique depuis très longtemps mais j’ai eu l’occasion de venir voir des spectacles à la Ménagerie de verre, qui m’ont beaucoup plus. Une pièce de Juan Dominguez, par exemple. Il est d’ailleurs présent cette année aussi dans le festival les Inaccoutumés.
Pensez-vous assister à l’une des pièces présentées dans l’édition 2010 du festival?
Alix Eynaudi. Je n’ai pas en tête tous les artistes programmés, mais je pense assister au solo d’Ivana Müller, 60 Minutes of Opportunism, notamment parce qu’Agata a travaillé sur la pièce…
— Durée: 50 minutes
— De et avec: Alix Eynaudi et Agata Maszkiewicz
— Collaboration artistique: Paula Caspão, David Elchardus, Philippe Quesne, Vincent Tirmarche
Les prochaines représentations d’Alix Eynaudi et Agata Maszkiewicz:
— 9-10 novembre 2010 (à 20h30), Ménagerie de verre, festival Les Inaccoutumés 2010, Long Long Short Long Short