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Alien Seasons

PHélène Sirven
@12 Jan 2008

Une aventure plastique, physique et mentale, entre apparitions et disparitions d’un lieu à l’autre des salles. Six œuvres sobres, visuelles et sonores qui provoquent des sensations discrètes mais intenses.

Philippe Parreno fait réagir le spectateur et déplace les temps qu’il règle tout en tenant compte d’une part d’aléatoire : le public. Au centre de l’installation, il y a la diffusion des images colorées d’Alien Seasons. L’étrange animal, nommé Sepia Cuttle Fish, est à la fois archaïque et merveilleusement souple. Il surgit à certains moments, en connexion et en décalage avec les autres éléments de l’exposition.

Le visiteur entre dans une pièce claire où il découvre les très beaux paysages du monde arctique (El sueno de una cosa) projetés sur un polyptyque blanc ; il est conduit ensuite à ressentir, écouter les quatre minutes trente trois de silence, pièce célèbre de John Cage (né en 1912). Libérer le son, c’est se rapprocher de la nature, c’est donc aussi libérer le silence, sa durée. L’ambiance crée l’œuvre et Philippe Parreno rend ici hommage au grand compositeur américain, à celui qui a permis de penser autrement la musique, et qui pense également la musique comme un fait social. On se souviendra de ses Imaginary Landscapes (le premier datant de 1939). Dans le film de Parreno, le mouvement sensuel du buisson de fleurs qui s’ouvre à la fois doucement et vite, réagit à la stabilité apparente de l’environnement naturel, en introduisant un autre temps, accéléré, irréel : le temps de l’image. Le rideau de cette salle introductive se baisse puis se relève et accompagne ainsi le déroulement du paysage. La bande sonore se mélange avec le solo de guitare de la dernière vidéo, au fond de l’exposition. Longtemps après, le son reste imprimé dans notre mémoire auditive si l’on s’est prêté au jeu. Jeu relationnel, s’il en est, dans le processus initié par Philippe Parreno, et dans l’exil qu’est peut-être toujours l’œuvre d’art, au cours du voyage concerté par l’artiste probablement pour lui et pour ceux qui reçoivent son œuvre.

Si l’on passe très vite dans l’exposition, le zapping l’emporte et les œuvres glissent dans le champ visuel avec une fugacité énigmatique. Mais si l’on reste un peu, puis toujours plus longtemps, si l’on devient réceptif à ce qui nous est proposé, alors on saisira ce que le frémissement des bandes de plastique du haut rideau (Battery House) faisant face aux pulsations du Mont Analogue — ce titre est celui d’un ouvrage de René Daumal — contient d’émotion, de désir de vie. Le message secret, en morse, que les bandes lumineuses inscrivent sur le mur interroge la relation qui existe toujours entre le langage et la sensation. On pourra aussi repérer le clignotement des cartels lumineux qui marquent différents points du parcours. La manière dont le texte dessiné apparaît sur le fond lumineux évoque une sorte de respiration visuelle, en écho aux mouvements lents du poisson étrange (Alien Seasons) qui apparaît soudain sur le mur.

On regardera autrement le visage narquois de l’enfant dans la grande photographie encadrée, située en face de l’image nocturne du terrain vague ; là où bougent un peu tristement des sacs en plastique fixés sur les branches des arbres : Crédits, version abrégée de dix-sept noms (ceux des habitants de la zone décrite, ceux de personnalités) traduit la reconstitution d’un paysage urbain de la fin des années 70, donc d’un paysage artificiel. La zone a été transformée et des parcs ont été créés. Les enfants ont accroché des sacs en plastique d’une manière dérisoire. Angus Young, guitariste du groupe AC/DC improvise et la photographie de Inez Van Lamsweerde et de Vidoodh Matadin montre cet enfant qui lui aussi se met en scène. On peut penser alors à la fameuse série de David Lynch, Twin Peaks, si onirique, si cruelle et si inquiétante.

Dans le catalogue, riche en images et en textes, Philippe Parreno met en exergue l’importance du processus, du « format », de ce qui doit rester en suspens pour que l’acte artistique se fasse au croisement des disciplines les plus éloignées en apparence. Le monde imaginaire de Parreno a besoin ici de l’architecte François Roche ou du scientifique Jaron Lanier, pour accomplir un voyage dans les limites les plus fines du temps et de l’espace virtuels. L’histoire n’est pas totalement racontée, elle n’occulte jamais la valeur du politique, elle veut rester en contact avec la vie : c’est-à-dire le désir, le doute, l’inachevé, des situations imprévisibles. Les choses sont présentées comme des possibilités d’extension, des programmations à venir. L’identité de l’artiste est liée à celles des visiteurs anonymes, porteurs de souvenirs, de projets. « L’art ne vient pas d’un mécanisme mais d’un déplacement. Les avatars (l’idiot de la famille, le bègue, le voyant, l’exorciste, l’hypnotiseur) anticipent sur le futur. Les moments les plus fantastiques sont les moments les plus réels ». Ainsi Philippe Parreno souligne son désir de dialogue incessant avec le monde et ses habitants les plus divers et il rappelle au fond que la curiosité vis-à-vis de ce monde en mutation nous préserve d’une mort lamentable.

Philippe Parreno :
— El sueno de una cosa, 2001-2002. Film couleur d’une minute projeté sur une peinture monochrome blanche de la White Series Painting (1952) de Robert Rauschenberg. En alternance, toutes les 4mn 33s, la reprise de la performance Silent Score (1952) de John Cage.
— Battery House, 2002. Prototype de structure formée d’un assemblage de feuilles de bananier en plastique recyclé, conçu avec l’agence Roche & Cie.
— Le Mont Analogue, 2002. Vidéo projection de pulsations lumineuses colorées.
— Alien Seasons, 2002. Vidéo. En collaboration avec Jaron Lanier.
— 7 juillet 2002. Émission de radio sur France Culture.
— Crédits, 1999-2002. Vidéogrammes. Film couleur 35 mn transféré sur Betacam, 6.30. Solo de guitare d’Angus Young.

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