Avec près de treize millions d’habitants, la ville brésilienne de Rio de Janeiro est forcément composite et métissée. Et elle l’est. Elle l’est même assez violemment, avec des contrastes fulgurants entre riches et pauvres. Une situation explosive, rendue pérenne par des mécanismes serrés de maintien de l’ordre établi. Comme l’explicite la Compagnie Rec : au cÅ“ur de l’équilibre protégeant Rio de Janeiro contre une bascule dans le chaos, il y a l’action de la police. C’est un élément-clé, qui maintient les riches à l’écart de la violence générée par une ville pleine de profondes inégalités. Avec la pièce Acordo (2017) [graphie : aCORdo], la chorégraphe Alice Ripoll (Cie Rec) livre ainsi un contrepoids à cette mécanique puissante. Pièce pour quatre danseurs — Alan Ferreira, Leandro Coala, Romulo Galvão, Tony Hewerton —, Acordo conjugue danse contemporaine, danse urbaine et narration.
Acordo d’Alice Ripoll : entre accords et couleurs, une pièce engageante
Issus des favelas de Rio de Janeiro, les danseurs d’Acordo déploient une subtile forme de retournement. En un seul mot, Acordo signifie, en portugais, accord et réveil. Sous la forme accentuée, aCORdo (comme en trois mots, a-cor-do) signifie alors la-couleur-de. Grignotant les distances usuelles du théâtre, avec Acordo danseurs et publics recomposent leur répartition spatiale. Dans les rapports de force, le recours aux jeux d’empiétements est fréquent. Comme le remarque la Compagnie Rec, l’une des pratiques de la police brésilienne consiste à multiplier les « check » (« transportez-vous quoi que ce soit d’illégal ? »). Soit une façon d’intimider les populations les plus pauvres, pour mieux protéger les déplacements des populations les plus riches (classes moyennes et supérieures). Un étrange ballet d’obstacles et entraves, pour faire en sorte que riches et pauvres continuent d’être invisibles les uns pour les autres. Comme deux classes partageant le même espace sans se rencontrer.
Acordo (aCORdo) : quand la danse interroge les rapports hiérarchiques
Attentive à cette polarisation du mouvement, Alice Ripoll compose ainsi une chorégraphie où se brouillent les hiérarchies. Où le dedans et le dehors s’emmêlent, se rencontrent. Par le biais d’une pièce s’attachant à rendre possibles les interactions. Et où spectateurs et danseurs, dans une égale mesure, doivent alors s’ajuster à la présence de l’autre. Celle de son corps, de ses sentiments, de ses émotions. Avec Acordo, le très-bas s’élève, et le très-haut descend de son nuage ou de son piédestal. Dans l’histoire des arts, une catégorie a déjà fait couler beaucoup d’encre : celle du sublime. Usuellement définie comme étant une forme de fascination éprouvée envers l’immense, le très grand. Le sublime des tragédies grecques, le sublime d’un volcan en éruption… Pour pouvoir éprouver ce sentiment de sublime, il faut avant tout se sentir protégé, hors d’atteinte. Avec Acordo, Alice Ripoll démystifie la part romantique et sublime des grandes métropoles brésiliennes.