Avec Gaugemancy (2018), le chorégraphe iranien Ali Moini (Cie Selon l’Heure) livre une pièce pour quatre danseurs. Titre en forme de néologisme, Gaugemancy [Jauge-mancie, en français] traduit les deux axes de la pièce : quantification et évaluation. Telles qu’appliquées à deux dynamiques : force et pression. S’il existe des instruments pour mesurer ces données physiques, comment les évaluer et quantifier lorsqu’elles s’appliquent aux actions humaines ? Cartomancie, chiromancie, graphomancie… La pièce Gaugemancy utilise un suffixe qui se réfère aux pratiques divinatoires. Pour mieux l’apposer à un geste de quantification : jauger. Et par le mouvement, la danse, Ali Moini livre ainsi une exploration de ce qui fait la chair du changement : les jeux de pression, de force, qui poussent, modèlent, et incitent au déplacement. Soit celui des danseurs — (tour à tour) Émi Sri Hartati Combet, Clément Courgeon, Miguel Garcia Llorens, Chandra Grangean, Ali Moini —, sur une composition sonore de Fred Rodrigues.
Gaugemancy d’Ali Moini : force et pression, entre mesure quantifiable et rite divinatoire
La lutte (comme sport) est ici au cœur du dispositif chorégraphique. Un peu énigmatique, la scène de Gaugemancy arbore ainsi des instruments étranges. Bouteilles d’eau suspendues, amas globuleux, micros sur pieds… Tout l’espace scénique semble être aux aguets pour capter ce qui fait l’énergie du changement. Les danseurs gravitent dans un volume quadrillé, où chaque geste semble devoir être jaugé et quantifié par des outils de mesure tous plus mystérieux les uns que les autres. Parfois une corrélation. La scène devient alors laboratoire et les danseurs deviennent des phénomènes quantifiables. Parfois un étrange décalage poétique. La divination prend alors le relais pour composer des liens entre gestes, intentions, sons, impressions… Double art de l’interprétation — celle des danseurs ; celle des spectateurs —, Gaugemancy défie le réductionnisme. En ouvrant une brèche par où l’imaginaire peut s’engouffrer. Porter, déplacer, éprouver la résistance… Ali Moini interroge ainsi la nature quantifiable du mouvement.
Lutteurs, sourciers, pâtissiers, danseurs… Les gestes qui façonnent et changent le monde
Dans les fêtes foraines, il y a parfois des punching-balls qui permettent de mesurer la force. Prenant le contrepoint d’une approche purement quantitative, Ali Moini plonge plutôt dans la question du rite, de la France à l’Iran. Lutteurs, sourciers, pâtissiers… La pièce Gaugemancy puise ainsi dans des fragments culturels, avec des séquences provenant de différents champs d’action. Rituels, cérémonies, activités sociales, professionnelles… Du travail manuel à la danse, en passant par la tentation de saisir ce qui fait la spécificité du mouvement : Gaugemancy creuse les notions de pression et force. En esquivant l’écueil de la passion : quand les corps ne font que pâtir. Acteurs dotés d’intentions, les interprètes de Gaugemancy ne font pas que subir la pression ou les rapports de force. Ils activent les dispositifs, les triturent, produisent du changement. Et ce faisant, ils offrent une pièce qui se préserve une part de mystère, offerte à la divination.
Itinéraire du spectacle (non exhaustif) :
– Centre Pompidou (Paris), du 9 au 11 novembre 2018.
– Le Manège (Reims), le 6 novembre 2018.