Pièce créée en 2017, Weaver Quintet du chorégraphe Alexandre Roccoli (Cie A Short Term Effet) entre-tisse les matériaux. Danse, mais aussi vidéo, lecture, musique live… Le quintette du tissage joue avec toutes les polysémies. Et des Moires aux mémoires, les fileuses d’Alexandre Roccoli dévide la bobine des gestes et histoires. À la croisée des chemins de la pièce : trois convergences. La tarentelle d’une part — cette danse italienne traditionnellement pratiquée comme remède par les personnes atteintes de tarentisme. Soit une sorte de léthargie dite avoir été causée par une piqûre de serpent ou d’araignée. Ensuite le métier de tisserande, tel que pratiqué manuellement par des ouvrières de France, d’Italie et du Maroc. Comme un métier dont les gestes ne se transmettent plus. Et enfin, des femmes atteintes de maladie d’Alzheimer, dont le tissu cérébral altéré modifie les capacités mémorielles et la faculté de transmettre récits et mémoire de gestes.
Weaver Quintet d’Alexandre Roccoli : la répétition du geste jusqu’à l’obsession
Sur scène, Weaver Quintet mobilise quatre interprètes. À savoir trois danseuses — Daphné Koutsafti, Juliette Morel, Véra Gobatcheva — et une musicienne — Deena Abdelwahed. Pièce au déroulé autant spatiale que temporel, Weaver Quintet entrechoque les fils et fragments. Histoire du tissage, histoire de la danse, histoire de femmes ouvrières… De la tarentelle à Rosas danst Rosas (Anne Teresa de Keersmaeker, 1983), se dessine un paysage où chacun pourra lire ce que ces mouvements activent dans sa propre mémoire. Et de la danse à la transe, Weaver Quintet explore la dimension obsessionnelle des gestes répétés. Jusqu’à la convulsion, dans un rapport physique au sol. Scène sobre, en partie couverte d’une substance terreuse ou charbonneuse, les danseuses y déroulent des soli à la lisière entre jouissance et épilepsie. Renouant ainsi avec le caractère extrême de la tarentelle, avant qu’elle ne devienne attraction touristique.
Du tissage à la tarentelle en passant par la maladie d’Alzheimer : conjurer l’oubli
Mais Weaver Quintet ne verse pas pour autant dans une nostalgie du folklore. Le live électro de la DJ tunisienne Deena Abdelwahed conjure cette tentation. Mixant des éléments sonores tirés du registre du métier à tisser, Deena Abdelwahed y entrelace par exemple des samples de chants du salento ou de tarentelles de Chopin. Voix, rythmes électro et boucles hypnotiques font ainsi naître une texture sonore épaisse, vibrante et enveloppante comme la toile d’une araignée. Ou enivrante comme la toxine affolante d’un venin. Et lentement, comme une drogue hallucinogène se frayant un chemin jusqu’au cÅ“ur, Weaver Quintet distille une transe qui monte à l’âme. Entraînant ses spectateurs, par le son, la lumière et les gestes, dans une sorte de communion extatique. Une expérience chorégraphique de mise à nue des mémoires individuelle et collective. Comme un rituel de conjuration, contre toutes les pertes de mémoire.
critique
Politique de la mémoire ouvrière