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Albert Oehlen

L’oeuvre d’Albert Oehlen ne se répète jamais. Chaque tableau apparaît comme un univers complexe où se mêlent et luttent couleurs, effet de flou, pixels informatiques, tracés au doigt, éléments figuratifs ou abstraits... Entretien de l’artiste avec le critique d’art Judicaël Lavrador.

Judicaël Lavrador. Depuis quand êtes-vous installé dans cet atelier tout neuf? L’avez-vous dessiné avec l’architecte d’après votre idée de ce type d’espace? Quelle serait cette idée? Passez-vous le plus clair de votre temps ici?
Albert Oehlen. Il y a deux ans encore, je travaillais dans la maison où nous habitons. Je voulais éviter d’être dérangé dans mon travail et j’ai trouvé un terrain dans un village voisin, pas facile à bâtir parce qu’il est en pente. Mes amis Iñaki Abalos et Paloma Lasso de la Vega ont dessiné les plans. C’est un loft de dix mètres sur vingt à flanc de montagne, avec un sous-sol de dix mètres sur dix où je stocke mes peintures et mon matériel. La hauteur de plafond se situe entre quatre et cinq mètres. C’est un espace tout simple, mais élégant, et j’essaie d’être soigneux. Je n’aime pas les ateliers sales. Les atelier du style de celui de Francis Bacon sont les pires. C’est ce que je détestais dans l’enseignement. Je n’avais pas envie d’aller dans les ateliers. J’avais toujours peur de me tacher. Depuis toujours, je peins sans répandre trop de couleur par terre et je ne m’en suis jamais mis sur le visage comme bon nombre de confrères. J’aime passer beaucoup de temps à l’atelier, c’est bon pour mes peintures. C’est le seul moyen de voir si un tableau tient le coup ou s’il devient ennuyeux. En général, j’écoute tranquillement la radio. Et je lis, aussi.

Comment avez-vous choisi les tableaux que vous présentez à Nîmes? Dans quel esprit ou quelle intention?
Albert Oehlen. Nous avons voulu donner une vision assez complète du principal groupe d’œuvres, c’est-à-dire les tableaux abstraits. Il y a quelquefois des éléments figuratifs dans certains d’entre eux, mais pour moi ils restent non figuratifs et ces éléments sont plutôt là pour le prouver, étant donné la façon dont ils sont utilisés. Nous avons choisi des Grey Paintings, des Computer Paintings, des Finger Paintings et d’autres qui n’appartiennent à aucune série en particulier.

Comment envisagez-vous les tableaux qui n’appartiennent pas à une série? Procèdent-ils d’une démarche différente, ou d’un autre désir? Pouvez-vous citer un exemple?
Albert Oehlen. Aucun des tableaux abstraits polychromes peints à partir de la fin des années 1980 n’était conçu pour s’insérer dans une série. Ce sont des œuvres isolées, mais dès qu’on les compare aux autres, évidemment, ils forment un groupe, on a besoin de leur donner un nom. Vous en avez un? Quand on parle de ces tableaux, en fait, on parle de la partie essentielle de mon travail.

Au lieu de parler tout de suite de la peinture, voyons d’abord vos rapports avec la musique. Dans les années 1970, vous étiez lié à la scène rock de Hambourg. Étiez-vous proche des punks à ce moment-là?
Albert Oehlen. Vers 1978, à l’époque où j’étudiais aux Beaux-Arts de Hambourg, la scène rock ne se limitait pas au punk. Il y avait des groupes d’inspiration punk, de la musique électronique, des performances et autres. Nous n’étions pas des danseurs de pogo! Le critique musical Diedrich Diederichsen me tenait au courant.

À part cette amitié, aviez-vous des affinités avec les groupes que vous écoutiez? Avec Red Krayola par exemple?
Albert Oehlen. Mais c’est un groupe purement intellectuel! Mayo Thompson est un peu artiste. À l’époque, je gardais mes distances avec l’art, y compris la peinture. Je voulais autre chose. Je voulais mettre l’accent sur les matériaux de l’art. Et je pense que Mayo menait le même genre de recherche. Il était censé faire de la musique rock, mais beaucoup de rockeurs trouvaient sa musique ennuyeuse. On peut faire un rapprochement avec ma démarche de peintre.

Certaines de vos Computer Paintings empruntent leur titre à des groupes de Death Metal, ou du moins aux Melvins. Que vouliez-vous dire avec ces titres?
Albert Oehlen. C’est une prise de position. Les Melvins sont exceptionnels. Il font du metal mais ne sont pas acceptés sur la scène metal. On les prend pour des plaisantins. Tous les artistes qui les connaissent les aiment, depuis Mike Kelley jusqu’à André Butzer en passant par Franz West ou moi.

Quel est le sens de vos titres en général?
Certains décrivent ce qu’il y a à voir. On peint un nu et on l’appelle Nu. D’autres titres laissent plus de champ libre à l’interprétation. Quelques-uns essaient de proposer une manière de voir, de donner une légère inflexion à ce qu’on voit. Ce n’est peut-être pas très important, mais au moins c’est drôle. J’essaie de les orienter dans un certain sens, pour donner une idée de ce que j’ai en tête.
Des tas de gens prennent les œuvres au premier degré. Ils pensent que si un tableau est sombre, le peintre est triste. S’il a des couleurs vives, le peintre est gai. J’ai énormément de réactions dans ce genre. Il y a cette manie systématique et presque idiote de tout prendre au sérieux. On peut se moquer de mes titres, mais ils indiquent ce qu’on peut espérer trouver dans mes tableaux.

Cette distinction que vous faites entre votre utilisation de la couleur et sa signification traditionnelle, voulez-vous la faire sentir au spectateur?
Albert Oehlen. Je ne suis pas sûr d’avoir envie de donner des leçons. Au début, mes peintures étaient sombres. Elles faisaient tout pour être aussi sinistres que possible. C’était comme une réaction en chaîne. Quand j’ai voulu peindre des tableaux, il fallait qu’ils parlent de ce qu’est vraiment la peinture, de ce qui constitue la peinture selon moi: les couleurs à l’huile, une image graisseuse, collante, marron foncé au milieu de la toile. Je me suis donc procuré du marron et j’ai peint des dinosaures, puis des intérieurs lugubres et des musées. Des musées agricoles, des vieux musées. En les peignant, je m’amusais bien, j’écoutais de la jolie musique disco et j’étais d’humeur joyeuse en fait. Je n’étais absolument pas quelqu’un qui peint ses états d’âme. C’était un artifice.

Vous essayiez d’aller à contre-courant?
Albert Oehlen. Quand j’ai commencé à peindre, ce n’était pas une période faste pour la peinture. Mais la situation me paraissait idéale, parce qu’il n’y avait pas trop de peintres. Dans les galeries à Hambourg, par exemple, on voyait des toiles médiocres en rouge et noir, avec des corps torturés et des horreurs. J’ai essayé d’aller beaucoup plus loin. J’étais content quand mes tableaux avaient l’air très mal peints. Il y a un exemple analogue en musique: les Residents. Leur musique apparemment sinistre, mauvaise et amateuriste, est en réalité subtilement calculée. Et très drôle. On a ce son lugubre et des mélodies puériles jouées avec une instrumentation débile.

À la fin de vos études aux Beaux-Arts, vous avez exposé avec des amis, en particulier Martin Kippenberger. De quoi s’agisait-il?
Albert Oehlen. C’était un peu un prolongement de ce qu’on faisait aux Beaux-Arts. On montait des expositions en s’encourageant mutuellement. Cela permet de faire des choses que l’on ne ferait pas tout seul. Au fond, on remettait à plus tard le passage à l’âge adulte. Avec Kippenberger en particulier, on se critiquait l’un l’autre et on échangeait des idées. À un moment, quand l’un de nous avait une idée, il demandait à l’autre: «Tu veux le faire ou on le fait ensemble?» Ou alors, on s’échangeait nos thèmes. L’avantage c’était la certitude d’aller chacun dans notre direction, sans avoir peur de l’autre, sans craindre une méprise ou un malentendu. Il n’y avait pas de jalousie entre nous, chacun faisait les choses à sa manière, on avait tout à y gagner sans rien à y perdre. Sinon, ce n’était pas possible.

Maintenant, vous vivez loin de vos amis. Quel effet cela vous fait-il de travailler seul? Y a-t-il des répercussions sur votre art?
Albert Oehlen. Le travail en commun me manque, mais c’est fini. Quand je vais voir un collègue dans son atelier, ce qui m’arrive de temps en temps, c’est parfois très stimulant. Bien sûr, quand on est étudiant, on le fait tous les jours.

L’étiquette Bad Painting a-t-elle un sens pour vous et pour vos tableaux?
Albert Oehlen. Je la comprends très bien. Le terme est stupide mais il me va. Il signifie que mon travail peut passer pour de la mauvaise peinture. Cette idée me plaît vraiment. Elle indique que je fais quelque chose de nouveau puisqu’on cherche tous à faire de bonnes peintures. Voyez le Picasso tardif: il a fait beaucoup de vilaines choses. Des choses que l’on ne devrait pas faire normalement. C’est de l’audace, de faire des choses et d’employer des matériaux qui ne sont pas permis.

L’expression s’applique-t-elle seulement à un mouvement des années 1980 ou est-elle toujours valable aujourd’hui?
Albert Oehlen. Il y a eu une exposition avec Neil Jenney et je ne sais plus qui. Si on m’ajoute à eux, je n’y vois pas d’inconvénient.

Cette part de malentendu est-elle importante pour vous?
Albert Oehlen. Oui, mais je veux que ce soit un malentendu avec les bonnes personnes.

Comment composez-vous les tableaux?
Albert Oehlen. La composition se fait au fur et à mesure. Je tords, je pousse, je tire. Je ne pourrais pas travailler d’après un dessin. Donc, je ne commence pas par élaborer la composition pour poser les couleurs ensuite. Tout se fait en même temps. Ou jamais. Ou tout est déjà là et je n’ai rien à faire.

Comment passez-vous d’une série à l’autre?
Albert Oehlen. Je n’ai jamais l’intention de faire quelque chose de nouveau. De temps en temps, j’ai des idées. Même si cela me déplaît profondément, je dois la réaliser. Je peux aussi tomber dessus par hasard.

Pouvez-vous donner un exemple?
Albert Oehlen. Prenons les Grey Paintings. C’était une idée idiote: pourquoi Gerhard Richter donne-t-il toujours des coups de brosse dans un sens bien précis? On dirait un flou de bougé sur Photoshop. Pourquoi pas dans un autre sens? Cette idée me trottait dans la tête, mais je n’avais pas prévu de l’exploiter. Elle était trop stupide. Et puis un jour, j’étais en Espagne, très loin de tous les magasins de fournitures pour artistes, et je n’avais plus de peinture à l’huile noire. J’avais des couleurs dont je ne me sers pas beaucoup, des verts et un rouge. Donc, si je les mélangeais, je devais obtenir quelque chose d’assez proche du noir ou du gris foncé. C’est ce que j’ai fait. Quand un ami est venu me voir, je me suis dit que j’allais l’épater en lui montrant la peinture la plus atroce qu’il ait jamais vue. J’ai pris ce mélange noir pour suivre mon idée au sujet de Richter: j’ai peint un oiseau, un carré et un anus, comme l’aurait fait Richter. J’ai brossé dans tous les sens en pensant très fort aux peintures de bougies. Soudain, j’avais un tableau qui me fascinait complètement. J’ai su tout de suite que j’allais poursuivre dans cette voie. Mais la peinture qui paraissait noire dans le pot n’était pas noire sur la toile. Je devais ajouter encore un peu de rouge. Ensuite, je devais brosser dix fois de bas en haut pour enlever tout le rouge. Les coups de brosse transformaient tout. C’est intéressant d’être obligé d’appliquer dix fois chaque coup de pinceau. On ne peint pas du tout de la même façon que si on appliquait les touches du premier coup en fonction du résultat voulu. Personne ne se livre à ce genre d’expérience idiote, sauf moi. Matthew Barney l’a fait dans son film Drawing Restreint. Mais là, c’est presque une œuvre conceptuelle: on voit les contraintes et le résultat. Cela me permet de faire des choses que je ne ferais pas autrement et de m’obliger à y réfléchir. C’est une distraction pour moi.

Vos œuvres sont-elles censées refléter les contraintes d’exécution?
Albert Oehlen. Il y a toujours des contraintes. D’abord, on achète le matériel. C’est déjà une contrainte. on achète tel ou tel pinceau, des couleurs, une toile plus poreuse qu’une autre. Certains artistes le font très consciemment, d’autres ne le font même pas, ils prennent ce qu’ils ont sous la main ou leurs instruments préférés. Ou alors ils mettent au point un système et n’ont plus à y penser jusqu’à la fin de leur vie, sauf si un jour ils en ont assez. Ou si le pinceau n’est pas assez un gros, ils en achètent un plus gros. J’essaie de changer tout le temps. Je fais toujours attention à ce que j’utilise. Pas pour avoir le meilleur matériel, mais pour me bagarrer avec lui et voir ce qui se passe.

L’une de vos séries révèle ostensiblement ses contraintes d’exécution: les Computer Paintings. Étaient-elles conçues pour évoquer cette technique bien particulière?
Albert Oehlen. C’est très superficiel. J’aime les mots Computer Paintings, mais seulement les mots. Je ne savais pas ce que cela donnerait. Je savais que ce serait forcément quelque chose que j’aurais fait de toute façon. Il fallait que ce soient des œuvres peintes, mais comment? Quand j’ai imaginé la méthode, c’était un peu par ironie. L’aspect de surface rappelle les ordinateurs de l’époque. Mais ce qu’on attend d’un ordinateur, c’est qu’il nous aide à faire quelque chose qu’on n’arrive pas à faire tout seul. Il ouvre une fenêtre sur l’avenir. Alors que mes Computer Paintings font exactement le contraire. Elles renvoient au passé. J’essaie de corriger l’image pixellisée et j’aboutis à une image peinte à la main. C’est une sorte d’inversion. Au lieu de regarder vers l’avenir, elle se retourne vers le passé. Et l’ordinateur ne m’aide pas. C’est moi qui aide l’ordinateur.

Vous aviez une réputation de peintre abstrait. Dans les séries les plus récentes, on voit apparaître quelques éléments figuratifs. Comment êtes-vous passé de la non-figuration à la figuration?
Albert Oehlen. Au début des années 1990, ou à la fin des années 1980, j’aspirais à l’abstraction pure. Je voulais qu’il n’y ait plus rien de reconnaissable. Dix ans après, j’ai pensé que je pouvais introduire des éléments figuratifs dans la mesure où j’indiquais clairement qu’ils n’étaient pas intentionnels. J’essaie d’aller dans cette direction, de montrer le plus possible sans le faire exprès. Peu importe si quelqu’un y voit des personnages. Il y a des gens qui en voient de toute façon. Au fond, le mot «abstrait» désigne pour moi quelque chose de dénaturé, de faussé, d’inachevé, de raté. Dans la peinture abstraite habituelle, l’artiste essaie de peindre quelque chose de figuratif et n’y arrive pas.

Vos œuvres récentes ont souvent un fond blanc. Comment faut-il comprendre cette évolution?
Albert Oehlen. Ce n’est pas une évolution importante. Dans mes premiers tableaux, j’avais décidé que la toile devait être entièrement recouverte parce que c’était l’idée que je me faisais de la peinture : il fallait une surface bien pleine, pas une image flottant sur un fond blanc. Vingt-cinq ans après, c’est cette image sur fond blanc que je veux. Alors, essayons ! C’était un essai, rien de plus, et puis j’ai vu que cela marchait bien et j’en ai fait d’autres.

Tout de même, dans vos séries récentes, les images sont très visibles.
Albert Oehlen. Vous voyez bien!

Les gens regardent attentivement les tableaux. J’ai été frappé par celui qui était exposé au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, avec les seins de femme.
Albert Oehlen. Quand j’ai commencé à insérer des photographies ou des affiches, je me suis demandé comment les empêcher de raconter une histoire, pour les réduire à de simples éléments picturaux. On peut introduire des composants qui ne sont pas de la peinture mais fonctionnent de la même façon, exactement comme une nouvelle couleur inexistante. Ces seins ne disent rien. Ils ne font qu’ajouter quelques nuances: un petit peu ridicules, un brin sexistes. Donc, ils touchent un peu l’instinct érotique et un peu l’instinct trash. Ce qui pouvait donner un ingrédient de peinture abstraite. J’ai fait des expériences avec les mots. J’aime les expressions toutes bêtes du genre: «Salut les potes!» Ou «Quel bazar!» Ou «On a prévu de te rendre dingue, et salement! N’essaie pas de nous en empêcher, on va te secouer, file-moi le micro!» Juste pour vous donner une idée. Alors, pourquoi ne pas les mettre dans un tableau du moment que ce n’est pas une composante narrative?

Cela veut-il dire que la peinture doit neutraliser les images?
Albert Oehlen. Je sais ce que je ne veux pas qu’elles fassent. Je ne veux pas qu’elles parlent.

Diriez-vous que vos peintures procèdent moins d’une addition que d’une soustraction?
Albert Oehlen. Ce serait plutôt de l’élagage.

La peinture contemporaine cite énormément l’histoire de l’art. Vous ne semblez pas le faire. Cherchez-vous quelque chose de nouveau?
Albert Oehlen. Je crée des objets, des tableaux qui, je l’espère, ne ressemblent pas à ce que l’on a déjà vu. Je ne cite pas. Je n’ai pas envie de refaire ce que d’autres ont déjà fait. Je peux les remercier, mais pas les citer pour dire: «Voyez un peu si je suis fort, je connais ceci, je connais cela!» Je ne veux pas étaler mes connaissances. Mais, bien sûr, je dois beaucoup aux autres artistes. Je me sens proche de certains d’entre eux. Par exemple, j’ai travaillé sans regarder De Kooning et maintenant je m’aperçois qu’il a fait tout ce que suis en train de faire. Je n’ai pas peur d’en parler à qui veut l’entendre. C’est l’artiste le plus intéressant à l’heure actuelle.

En quoi est-il si important pour vous?
Albert Oehlen. Il y a deux liens avec De Kooning. J’ai choisi volontairement d’adopter un mode de travail qui rappelle l’art de cette époque. C’est la technique, cette idée naïve de peindre avec ses mains, avec sa sensibilité, de sentir la peinture, la toile… C’est ce que j’ai voulu faire après avoir vu une exposition d’Action Painting. Mais c’est tout ce qui me rattache à ce moment historique. Je suis moi et personne d’autre et je fais la peinture à laquelle je travaille depuis trente ans. Et là-dessus, mon chemin croise encore celui de De Kooning. Parce que sa peinture va plus loin qu’il n’y paraît à première vue. C’est à peu près tout ce que j’ai à dire sur De Kooning. On dirait la traduction directe de sensations à un moment donné, mais c’est bien autre chose.

L’exposition marque-t-elle une autre étape dans le travail du peintre?
Albert Oehlen. C’était la grande mode ces vingt dernières années, d’envisager l’espace d’exposition par rapport à l’histoire du bâtiment. C’était peut-être nécessaire. Mais ce n’est pas du tout ce que je veux faire. C’est le moment de faire le contraire. Je veux attirer toute l’attention sur les tableaux eux-mêmes. Si la salle d’exposition est moche, les tableaux la sauveront. Bon, je suis un peintre. Je ne vais pas laisser un architecte manipuler mes tableaux. Si la peinture est forte, elle se défend toute seule. J’ai cette illusion.

Vous avez l’habitude des interviews. Malgré tout, quel effet cela fait-il d’avoir à expliquer verbalement sa démarche?
Albert Oehlen. J’ai du mal à commenter mon travail. Mais, d’un autre côté, je ne veux pas créer un mystère autour de mon travail en racontant qu’il est inexplicable.

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