Photographies, dessins, vidéos, récits et installations re-présentent (comme Bernardini le précise) et décontextualisent des informations fragmentées sur la vie d’un jardin public. Dans cette exposition la perception doit être mobile et vagabonde, car nous passons d’une réalité banale à un montage de séquences oscillant entre réalité et fiction où se nouent des événements bizarres, autour des jardiniers.
Ce qui frappe d’emblée, c’est l’hétérogénéité des matériaux exposés: sept grosses tondeuses à gazon sont alignées contre un mur, sous cinq silhouettes de jardiniers mimant une activité et cernées au feutre noir; sur un autre mur deux photographies de pied de jardiniers vus en plongée et tête-bêche sont associées aux phrases «Les bras croisés en attendant» et «Les mains dans les poches contre le mur c’est mieux»; une grande photographie cadre un jardinier sur un motoculteur ; du mobilier (armoire, table et fauteuils); une vidéo projette des jardiniers en action; enfin, cinq ensembles de vidéos traversent l’espace en rythmant des allers et venues de camions.
Les camions étaient d’ailleurs présents le soir du vernissage dans la cour du Centre d’art, face à l’entrée, au garde à vous, moteur en marche, prêts à entrer en action. Cet étrange balai mécanique vrombissant nous plongeait dans l’atmosphère d’une vie de «jardinier public». Vie par trop réelle, comme un rêve.
On est accueilli dans l’exposition par une série de vidéos disposées en demi-cercle. Des vidéos en diptyque présentent les jours de la semaine (lundi, mardi, mercredi, jeudi), sauf le vendredi qui bénéficie, lui, d’un grand écran. Dans les diptyques, l’écran de gauche montre des jardiniers au repos, mains dans les poches, bras croisés, fumant ou baillant ; tandis que sur l’écran de droite des camions, des tracteurs et des camionnettes en tous genres défilent dans un vacarme ponctué de quelques silences.
La vidéo Vendredi présente des jardiniers en train de ranger du matériel: tronçonneuses, tondeuses, faux déposées telles les armes d’un combat achevé. Les rythmes sonores et visuels sont ici créés par les sorties et les entrées des camions, tandis que les jardiniers prennent la pose et font une pause. Les mouvements alternent avec les écrans vides et des personnages figé, tandis que les répétitions d’images sont assorties de gros plans, de plans d’ensemble, et de commentaires ou bribes de phrases parfois semblables à des parasites sonores.
La vidéo projection La Souche diffère de l’ensemble précédent, la taille et la position de l’écran faisant entrer les jardiniers en pied dans l’espace d’exposition. Ils sont là , trois, qui actionnent un levier, sans que l’effort déployé ne produise d’effet visible. Ce qui force notre incrédulité: que font-ils ? pourquoi? Le geste mécanique et répétitif devenant gestuelle chorégraphique. Soudain, pourtant, un événement survient : une souche d’arbre déboule, de bas en haut, vers les jardiniers. Cette image en temps inversé, au ralenti, répétée plusieurs fois donne une autre forme au récit.
Ainsi dans les vidéos, les détails agrandis, les ruptures, les images discontinues font basculer le documentaire vers la fiction. Tels ces couteaux exhibés par un jardinier, qu’un cadrage prolongé fait passer de l’état d’objets étincelants à l’état d’armes menaçantes.
Quant aux objets directement sortis de l’atelier — tondeuses à gazon, armoire métallique et sièges —, ce ne sont pas des ready-made, mais les témoins d’une fonction réelle. D’ailleurs, l’exposition des tondeuses alignées contre un mur tient plus du rangement que de la présentation. Quant à l’armoire métallique, elle est placée dans un angle, presque à l’abri des regards, comme un vestiaire pour jardiniers ouvert sur leur vie après le travail.
Tout est là , donné, présenté mais décomposé. Quel sens donner à cette collecte d’images fragmentées, à ces bribes d’une histoire sans cesse changeante que l’on ne peut reconstituer qu’en passant d’un élément à l’autre, qu’en rassemblant des parties éparses. Nous sommes tiraillés entre le repérage de relevés de réel et la déambulation nécessaire pour les articuler et les combiner de façon toujours différente.
Dans cet espace où le mouvement est parfois figé, où les vidéos diffusent du bruit, où les machines sont silencieuses et où les images sont vues en temps inversé, le réel n’est pas vraiment celui de la fiction, ni celui de l’objet exposé. Ce réel-là s’impose par une traversée dans le récit fragmenté comme dans Alice — l’une des vidéos s’intitule le Jeune jardinier au pays des merveilles.
— Le 1er jardinier A, 2001. Impression numérique sur bâche. 130 x 130 cm.
— Le 2e jardinier, 2001. Impression numérique sur bâche. 130 x 130 cm.
— Lundi, 2001. Deux vidéos.
— Mardi, 2001. Deux vidéos.
— Mercredi, 2001. Deux vidéos.
— Jeudi, 2001. Deux vidéos.
— Vendredi, 2001. Une vidéo.
— La Semaine, 2001. Sept tondeuses et dessins sur un mur.
— Parc Pierre Bérégovoy, 2001. Impression numérique sur bâche. 250 x 180 cm.
— Le Salon, 2001. Mobilier.
— La Souche, 2001. Vidéo projection. 3 mn 40.
Programmation vidéo dans l’annexe :
— Le jeune jardinier au pays des merveilles, 2000. 7 mn.
— Ça va comme ça, 2000. 7 mn.
— J’ai envie de m’asseoir, 2000. 9 mn.