Si tant est que l’art ait une fonction, alors la danse du chorégraphe britannique Akram Khan a des effets réparateurs. Une façon de plonger dans l’humanité et le collectif pour en faire ressortir les dimensions constructives. Plus qu’une catharsis (ou purgation des passions), la danse d’Akram Khan rassemble et réconcilie les énergies. À l’instar de Kadamati, qui avait réuni plusieurs centaines de danseurs sur la place de l’Hôtel-de-Ville, à Paris, en septembre 2018. Avec sa nouvelle pièce, Outwitting the Devil (2019), qui pourrait se traduire par Duper le diable, Akram Khan livre une création pour six danseurs. Six artistes internationaux, d’âges, genres et influences différentes — Ching-Ying Chien, Andrew Pan, Dominique Petit, James Vu Anh Pham, Mythili Prakash et Sam Pratt. Une réunion chorégraphique à l’aune des récits fondateurs et accompagnateurs, de L’Épopée de Gilgamesh à Don Quichotte en passant par La Cène de Leonardo Da Vinci.
Outwitting the Devil d’Akram Khan : apprivoiser le diable et les mythes ?
Comme le laisse deviner le titre, Outwitting the Devil s’empare ainsi des mythes qui structurent l’aventure humaine. Pièce à la dramaturgie forte et expressive (par Ruth Little), Outwitting the Devil réunit des personnes de chair et d’émotion. Âgés de vingt à soixante ans environ, les danseurs ont chacun leur parcours et charge de vie. Course contre la montre Outwitting the Devil signifie tout à la fois vendre son âme au Diable et espérer en tirer profit. Penser pouvoir flouer le Diable, le prendre de court, de vitesse, ou même à son propre jeu : c’est un peu ce qu’explore la pièce. Ici, comme le note Akram Khan, le diable est tout à la fois humain et abstrait. Il est à la fois la fascinante dévoration pour l’éternité et la richesse, et le temps lui-même. Cette entité que l’être humain ne cesse d’essayer de dompter ou déjouer.
La force des rituels collectifs réparateurs : une danse charnelle et expressive
Pièce imprégnée de l’urgence actuelle, entre épuisement des ressources et accroissement des inégalités, Outwitting the Devil questionne aussi la capacité à comprendre les mythes fondateurs. « La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s’est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s’y trouve. » Cette phrase du poète mystique persan Rûmî sert un peu de fil conducteur. Entre chaos naturel et ordre culturel, Outwitting the Devil trame aussi de la continuité. Désamorcent ainsi la rupture, par le rituel collectif. Et plutôt que d’oblitérer la part sauvage ou chaotique, intrinsèquement humaine, la pièce invite à en explorer la puissance. Sur une composition sonore de Vincenzo Lamagna, la danse se fait alors charnelle et animale. Telle une exhortation à ne pas trop tirer sur la corde. Car comme l’enseignent aussi les mythes, la frontière entre petit bouffon et mal absolu peut être ténue.
Itinéraire du spectacle (non exhaustif) :
– Le 13ème Art (Paris), du 11 au 20 septembre 2019.
– Palais des Papes (Avignon), dans le cadre du Festival d’Avignon, du 17 au 21 juillet 2019. Première française (première mondiale : les 13 et 14 juillet 2019 à Stuttgart).