ART | CRITIQUE

Ákos Birkás

PNicolas Villodre
@19 Sep 2008

Après son fameux cycle à base de diptyques ovales, Ákos Birkás a décidé de produire une série de peintures rectangulaires, dans le sens du paysage, inspirées d’images d’actualité et de scènes plus quotidiennes.

Ses centaines de portraits siamois, d’images composites faisant songer aux aigles à deux têtes, ces diptyques ou «Kopfbilder» soulignés d’un cadre ovoïde insistant sur la duplicité du modèle ou, plus vraisemblablement, sur la technique et la fonction première de la peinture, avaient, jusqu’ici, été la marque du peintre Akos Birkas, de la même manière que les portraits la tête à l’envers sont, depuis 1969, celle de Baselitz.
Courageusement, l’artiste a cependant décidé de se remettre en question, de passer à autre chose en quittant un univers somme toute narcissique. Le réel semble l’avoir happé ou, tout au moins, appelé.

L’exposition de cette rentrée, à la galerie Zürcher, permet de constater précisément cette évolution artistique. Akos Birkas est passé, insensiblement, discrètement, en douceur, d’une intimité à l’autre. Le cadre s’est élargi mais reste centré sur un seul ou sur un petit groupe de personnages. Les problèmes sociaux et politiques de l’Europe occidentale font aussi partie des préoccupations de l’artiste.

Chaque tableau est une saynète hermétique, close en elle-même, en raison sans doute de sa polysémie. L’artiste travaille certainement d’après photo, mais le procédé n’est pas vraiment déterminant en l’occurrence, dans la mesure où ce que l’on retient surtout de sa vision des choses, c’est son empathie avec ses modèles, les petites gens du peuple, les prolos, les techniciens, les VRP d’eux-mêmes, saisis dans leur solitude, dans leur désolation et dans des moments de total abandon.

L’aspect figé de ces instants prélevés dans le quotidien, parfois peut-être bien captés à l’insu des protagonistes, est renforcé par le lent travail du peintre qui, tout en les interprétant, les simplifiant, les schématisant dans son style très particulier, leur apporte ce supplément d’âme qui sera forcément distinct de l’aura qu’un objectif photographique est susceptible de leur conférer.

Akos Birkas transfigure ces scènes à sa façon : en appliquant de savants aplats, en condensant, en épurant mais, aussi, en saturant au maximum les couleurs qui, de ce fait, apparaissent vives, chatoyantes, chaleureuses, en contradiction avec le contenu prosaïque des toiles. La ligne est claire, la structure réduite à l’essentiel.

L’homme à son balcon, la nuit, surplombant une route déserte, fait penser aux paysages urbains, aux vues d’autoroutes et d’aéroports d’Angelo Amatulli. Le peintre semble avoir été tenté par l’évacuation de la figure humaine, voire de la figuration tout court, quand on examine la silhouette grossière du premier plan et les traces colorées qui font le fond.
L’enfant à genoux sur un matelas de mousse, masqué et comme aveuglé par un livre qu’il tient beaucoup trop près de ses yeux, a quelque chose d’énigmatique — à tout jamais.
L’homme cravaté et un peu endimanché, un petit cadre ou un technicien qualifié en déplacement, est assis dans ce qui paraît être la chambre d’un hôtel provincial et cafardeux, la mallette contenant ses dossiers, ses plans et tout son nécessaire étant posée au sol, devant lui.
Enfin, le groupe de femmes et d’enfants émigrés, sans doute sans papiers, entassés dans la cuisine d’un appartement moderne, donne l’impression de se reposer ou de dormir paisiblement.
Les teintes sont un peu estompées par des effets de floutage photo des visages. Si ces points de vue sont ceux du photoreporter, ils ont fini par devenir des scènes vécues par le peintre dans son atelier, soucieux du monde qui l’entoure.

Ákos Birkás
In the kitchen, 2008. Huile sur toile. 130 x 280 cm.
The cold room, 2008. Huile sur toile. 130 x 180 cm.
The other child, 2008. Huile sur toile. 130 x 210 cm.
The balcony, 2008. Huile sur toile. 100 x 180 cm.

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