Le chorégraphe japonais Akaji Maro est un maître du butô [danse des ténèbres]. C’est ce qui fait de Crazy Camel un spectacle d’exception. Envers lumineux du butô, Crazy Camel relève du cabaret burlesque. Les interprètes n’y sont pas recouverts de poudre blanche, comme dans le butô, mais de poudre d’or [kimpun]. Et pour comprendre cette occurrence presqu’à l’opposé du travail d’Akaji Maro, il convient d’apporter quelques éléments de contexte. Tandis que la Seconde Guerre mondiale aura balayé les danses traditionnelles japonaises et leurs costumes raffinés, le butô porte sur scène des corps dénudés, fantomatiques, recouverts de poudre blanche. Le revers burlesque de cette danse inquiétante prend alors les traits du Kimpun Show. Relevant du cabaret populaire, les corps des danseurs y sont dorés et leurs danses légères, sensuelles, à la lisière de la grivoiserie. Un genre qui a rapidement su se conquérir un public.
Crazy Camel d’Akaji Maro (Cie Dairakudakan) : la séduction érotisante du Kimpun Show
D’apparence antinomiques l’une de l’autre, la danse du Kimpun Show a néanmoins permis de financer des productions de butô. Et en contrepartie, les créations de butô ont su donner des lettres de noblesse aux chorégraphes s’aventurant du côté du cabaret. Avec Crazy Camel, le chorégraphe Akaji Maro propose ainsi un Kimpun Show dans les règles de l’art. Les douze interprètes (sept danseurs et cinq danseuses) déploient des corps parfaitement sculptés, enduits de dorures. Comme autant de sculptures à la fois hypnotisantes et légèrement vulgaires. Les uns diront bling-bling, les autres citeront Le Marchand de Venise de William Shakespeare : tout ce qui brille n’est pas or. Sur des musiques d’Antonio Vivaldi, Keisuke Doi et Kenichiro, Crazy Camel ondule avec une complaisance mi-ironique, mi-lascive. Et là où l’or, dans le kintsugi [jointure en or], est utilisé pour réparer les objets brisés, le Kimpun Show opère peut-être comme une soudure culturelle.
Un cabaret burlesque syncrétique : de Vivaldi au Crazy Horse, en passant par le butô
Les visages blanchis des danseuses topless et les yeux fardés de noirs des danseurs, tout aussi topless, distillent une distance. La peinture dorée est ici le reflet le plus criant du voile de l’illusion, autorisant une nudité désirable. Car le désir peut ici se faire passer pour une soif d’or. Mais les visages blanchis redoublent encore cette distance. Apanage des geishas et maikos, la lividité des figures rappelle aussi le butô. Avec des corps duals, entre les mondes et les cultures. Véritable performance physique, le Kimpun Show d’Akaji Maro et du Dairakudakan [Le grand vaisseau du chameau] est aussi un clin d’oeil à son homologue parisien : le Crazy Horse. Enchantement des regards, divertissement érotisant, plus qu’une friandise exotique, Crazy Camel fascine tout en couplant les genres. Comme une étrange jointure contemporaine, entre les cultures et les époques.