Roman Ondak
Ajar
Ajar, titre de cette 4ème exposition de Roman Ondak à gb agency, nous renvoie à l’idée d’une porte entrebâillée, à la notion d’un espace mi-clos, mi-ouvert, d’un moment de transition, de transmission. Un intervalle où la sphère privée rencontre celle du public, où l’individu croise le collectif. Cet entre-deux se déploie aussi temporellement tout au long de l’exposition avec des Å“uvres soit conçues dans les années 90, ou d’autres réalisées pour cette exposition. «Ajar» se construit à partir de va et vient temporels entre une mémoire et un présent. Roman Ondak compose souvent ces espaces de passages, de glissements à partir d’un dispositif de vis-à -vis, parfois de symétrie ou même de dissonance: l’art emprunte à la vie et la vie devient une forme esthétique, un moment artistique.
La sculpture Door Left Ajar (2014), élément architectural venant de la maison de l’artiste à Bratislava, est une porte en bois et verre avec son chambranle, découpée. Décontextualisée de son environnement d’origine, l’Å“uvre symbolise cet espace entrouvert, perméable, entre extérieur et intérieur, soulignant aussi les seuils fragiles délimitant la vie de l’art. Ce geste d’extraire et archiver des éléments autobiographiques se retrouve aussi dans la pièce Mailbox (2014), panneau de bois d’une table à dessin retrouvé dans l’atelier de l’artiste dans lequel une carte détaillée du centre de la Tchécoslovaquie a été insérée, formant comme un zoom sur sa région natale. L’artiste y a fixé en relief une boîte aux lettres faite de la section d’un tuyau. Le père de Roman Ondak avait fabriqué celle-ci utilisant et remaniant un tuyau de descente d’eau — une pratique commune en Slovaquie dans les années 1980 pour improviser des objets quotidiens utilisés dans un but différent. L’intégration d’objets familiers et fonctionnels transformés en Å“uvre d’art précise l’univers géographique, familial et intime de l’artiste. En plus de la référence à la géographie et à l’origine de l’artiste, elle pointe les notions d’échange, de communication, l’ouverture à un au-delà de l’ancrage local.
La topographie de l’exposition mêle les sphères intimes à d’autres, plus géopolitiques. La boîte aux lettres de Mailbox ou l’antenne de l’œuvre Antenna (2014) ne sont pas des objets choisis au hasard mais des moyens pour émettre et diffuser à une époque où il était difficile de communiquer. Antenna est un assemblage entre une représentation géographique et un objet à échelle réelle: une large antenne fabriquée à la fin des années 70 par le père de l’artiste et une carte trouvée, peinte à la main des randonnées dans les montagnes prés de Zilina, où l’artiste a grandit. Si Mailbox nous donne une vue aérienne et cartographiée, comme abstraite de ce territoire, Antenna est à échelle humaine, plus empirique, presque naïve dans sa forme; la peinture de la vallée est d’ailleurs si précise que l’on peut y trouver la maison familiale de l’artiste.
Ce rapport à l’autre, se prolonge dans toutes les Å“uvres de l’exposition comme avec les dessins Three Hands, One Broken (1993) ou Hand with Bandage (1993) qui en ponctuent le parcours. A partir d’un livre médical d’apprentissage de soins, l’artiste isole par cadrage certains gestes et crée ainsi des compositions autour de mains s’occupant d’un autre. Aux impressions agrandies, tramées, faites sur papier, il dessine sur chaque constellation un cercle à l’encre de chine, Roman Ondak aime cette idée de transmission humaniste d’une personne à l’autre par des gestes simples. La publication filtre une connaissance et les dessins transforment ce savoir en trouvant une équivalence poétique. Ils recadrent un mouvement et par le geste de recouvrement, les cercles noirs apposés dévoilent leur dimension plus abstraite.
L’attention au rapport à l’autre encore dans l’installation Form of a Child (1994/2014), lorsque l’artiste fait référence à l’ouvrage de Victor Robinson intitulée The Modern Home Physician, une encyclopédie médicale très populaire dans l’Amérique des années 40 et largement présente dans tous les foyers. Roman Ondak projette puis peint à la main différents titres de chapitres liés à l’éducation des enfants sur des éléments de mobilier. L’installation a été au fil du temps presque oubliée, partiellement perdue ou détruite, et est maintenant redécouverte, l’artiste s’appropriant son état présent pour la montrer fragmentée dans un même espace d’exposition. Les meubles peints jouent le rôle d’un substitut, une métaphore pour l’expérience humaine à la fois dans l’intimité et les moments conventionnels de la vie.
Tomorrows (Handshake) (2002) est une autre transmission, cette fois à une échelle plus large qui se réfère à des moments socio-politiques dans l’histoire. L’installation présente des enfants se serrant la main lors d’une réunion. Cette Å“uvre a été réalisée dans une école d’Erlauf, petite ville autrichienne. Dans la photographie disposée en angle dans le coin de murs, les éléments récurrents du travail de Roman Ondak sont présents; la simulation d’une réalité mise en scène rejoue cette situation. En recadrant cet instant du passé, l’artiste questionne comment la jeune génération perçoit le passé et interroge le présent du spectateur. Tomorrows (Handshake) est un anti-monument, à partir d’un acte non spectaculaire, proche du ténu et témoigne de cette porosité entre l’art et la réalité.
L’installation de quatre sérigraphies sur Plexiglas représentant des ampoules, Twin Bulbs (1993) contient déjà cette notion de double, de symétrie en miroir que l’artiste développera dans d’autres Å“uvres. Les dessins presque technologiques ressemblent à des vaisseaux à la fois complexes mais synthétiques dans leur forme, et projettent dans un futur l’information invisible qu’ils contiennent.
Ce principe de dualité trouve une forme elliptique, comme si la boucle était bouclée avec l’installation For Sale (2007), constituée d’une photographie et d’un panneau posés sur une étagère. La photographie représente l’entrée de gb agency lorsqu’elle était encore rue Louise Weiss dans le 13ème arrondissement. Sur le ventail un panneau affiche «For Sale», ce même écriteau est posé sur l’étagère. For Sale nous rappelle que le champ d’action du travail est l’institution artistique, la galerie ou le musée. L’espace d’exposition devient espace public dans lequel le spectateur a un rôle. L’institution artistique est aussi un micro modèle de société, un endroit de rencontre et d’échange.
L’exposition est le lieu pour comprendre et transformer, le lieu de passage, un lieu de circulation, de réception et de diffusion. Derrière la normalité apparente des choses et des vies, l’artiste explore notre mémoire collective en étudiant nos conventions et systèmes de représentation qui influencent notre société presque imperceptiblement. Tout le travail de Roman Ondak se construit par glissements et cadrages de la réalité dans cet espace artistique.
Roman Ondak est né à Zilina, Slovaquie, en 1966, il vit et travaille à Bratislava.