Robert Stadler
Airspace
«Airspace»: portion d’atmosphère contrôlée par un pays au-dessus de son territoire, incluant les eaux territoriales.
C’est dans cette perspective d’occupation de l’espace tridimensionnel de la galerie que Robert Stadler mène sa proposition «Airspace» en deux étapes: «cut_paste» et «PdT», une réflexion liée à l’art de construire, une histoire de l’humanité, une relation au temps et à l’œuvre. Comme l’écrivait Eugène Viollet-le-Duc, «La bonne architecture, dans tous les temps et chez tous les peuples, celle de l’Antiquité comprise, et surtout celle-là , procède en grande partie de la structure, l’indique et veut la faire voir.» Le designer s’inscrit dans cette lecture et livre son interprétation du geste architectural confronté au temps passé et présent, une démonstration qu’il développe à l’échelle de l’objet.
Il propose donc deux angles différents pour aborder son empreinte dans l’espace: «cut_paste», une construction par addition de plans et «PdT» une composition en volume, une logique d’enlèvement de matière en creusant dans la masse. Les deux faces d’une certaine idée de l’architecture dans un espace ouvert, composé selon une volonté précise. «cut_paste» engage une réflexion sur l’acte de recouvrement des édifices. Refusant une logique standardisée, le designer intègre l’illusion d’un geste aléatoire, dans une œuvre qui renoue avec une vision constructiviste. Cette série de structures est caractérisée par l’emploi de plans combinés qui se coupent à angle droit, dégageant des volumes construits qui dépassent la stricte fonction utile. Dans le paysage de la galerie leur présence horizontale et verticale rythme l’espace d’une beauté minimale, paradoxalement richement ornée des motifs graphiques des marbres et de l’onyx. Les matériaux choisis pour réaliser «cut_paste» sont prélevés du registre de l’architecture. Robert Stadler construit avec des panneaux composites utilisés en recouvrement de façades, des feuillures de marbre contrecollées sur des panneaux de nid d’abeille aluminium. Il coupe, colle, juxtapose et décale les éléments pour donner aux volumes la rigidité nécessaire, et provoque des rencontres de motifs variés et contradictoires. Il convoque l’esprit des formes récupérées sur les chantiers de construction, des chutes sciées qu’il recycle. Une fiction rêvée de la disparition d’une architecture moderne.
Par cette opération, il piège le regard qui ne peut se saisir globalement de la forme. Il invite ainsi à une lecture dynamique de l’œuvre qui se réinvente en fonction des points de vue. Il formule par une écriture de signes graphiques une nouvelle proposition, sur la page blanche de la galerie. Avec « PdT » Robert Stadler invente un autre scénario, il se met dans la peau de l’archéologue et procède à la redécouverte d’éléments architecturaux, colonnes, arcs et édifices sur lesquels le temps aurait fait son office. Le volume et la masse de la pierre de taille, matériau privilégié de l’architecture est exposé à une usure du temps accélérée. Le matériau se métamorphose en formes polies, traces éloquentes du passé. Seuls subsistent les joints qui témoignent du geste du bâtisseur. Les lignes caractérisent l’objet, sa provenance, son histoire. Cette mise en avant du maillage sédimentaire renoue avec la pratique contemporaine de conception infographique et établit un dialogue entre une pièce archaïque et un programme numérique. «PdT», contrairement à «cut_paste», arrête l’air, ne le laisse pas filtrer et impose sa présence.
Les trois formes livrées par le designer sont définies dans une traduction contemporaine comme un banc, un miroir et une table basse. Le banc, blocs de pierre délaissé dans un chantier imaginaire est usé à une extrémité, la colonne-miroir évoque un reste de portique, la table basse une forme libre, ces éléments sont autant de traces mélancoliques d’un passé architectural. Ces lambeaux, ces dépouilles de pierre poreuse sont usinés par une machine numérique, la masse est évidée et l’ensemble est fini par un ponçage à la main. «PdT» découle de la commande publique obtenue par Robert Stadler sur L’ensemble Poirel à Nancy «Traits d’union» (2014) où il intervient sur le bâtiment en créant des extensions, à la fois une œuvre sculpturale et du mobilier urbain une célébration de la pierre et des joints qui composent «la cage graphique» du projet. La métamorphose constante de l’objet bouleverse la perception de l’usager. Robert Stadler impose une œuvre rare qui échappe à toute définition.