Airs de Paris est une grande exposition d’art contemporain. On ne peut que s’en réjouir, tant la place accordée par le Centre Pompidou à la création plastique d’aujourd’hui reste congrue. La ville, avec Paris comme point de départ, en est le thème fédérateur. La vie urbaine et ses mutations contemporaines sont, à l’évidence, au cœur du travail de nombreux artistes de la scène française. C’est de ce constat, selon Christine Macel, l’une de ses commissaires, qu’est née l’exposition anniversaire du Centre Pompidou.
Marcel Duchamp, et sa capsule Air de Paris, qu’il offrit en 1919 à un couple d’amis new yorkais, ont fait le reste. Airs de Paris donc, pour commémorer l’ouverture du Centre Pompidou, inauguré, il y a trente ans, avec une monographie de l’artiste iconoclaste, dont les ready-made bouleversèrent définitivement les règles de l’art, et Airs de Paris, comme des ritournelles, plurielles et sages, mais résolument urbaines.
La salle d’accueil donne le ton. Ouverte par la Date Painting, blanc sur noir, d’On Kawara, du 28 avril 1977, date à laquelle l’artiste exposait dans un Centre Pompidou tout récemment ouvert, ladite capsule, ou, tout du moins, l’une de ces répliques, trône, telle une ampoule sainte, sur fond de paysage silhouetté, qui évoque un square au clair de lune, avec réverbère ondulant et rhinocéros, mi-nostalgique mi-féérique (Richard Fauguet), sous une pluie battante, et noire de crasse (Michel Blazy).
Soit une installation en négatif, autour de la légèreté ironique, transparente et prémonitoire des circulations à venir de l’art, du ready-made aidé de Marcel Duchamp, heureusement ponctuée par la Date Painting d’anticipation, blanc sur rouge, d’Olivier Babin, du 16 août 2007, jour de clôture de l’exposition.
Entre mémoire et ironie désabusée, noirceur et désinvolture, le parcours tortueux, sans doute une évocation de la complexité urbaine, propose une succession de rapprochements, qui, s’ils fonctionnent plus ou moins, restent souvent lisses et convenus.
Ainsi le sage face à face parisien entre les prélèvements photographiques de vitrines occultées au blanc d’Espagne de Bertrand Lavier, et la palissade de chantier, percée de petites vidéos, qui bruissent de l’animation de quelques places publiques, de Raymond Hains.
Plus déconcertant, le rapprochement du mobilier urbain tout droit sorti d’un mauvais décor de Disneyland, de Stéphane Calais, d’un prototype de Pentacycle de Vincent Lamouroux, conçu pour un usage exclusif, et par conséquent fort limité, à la circulation sur le rail de béton de l’aérotrain Paris-Orléans, qui ne fut jamais mis en service.
Les voies rapides, grises et froides, remodelées par les couleurs acidulées des marques commerciales d’Alain Bublex, côtoient les intérieurs lumineux, et vidés de leurs occupants, de Tatiana Trouvé. Y sont abandonnés des vestiges d’appareillages à la rationalité aussi barbare que mystérieuse.
Du Paysan de Paris aux Passagers du Roissy-Express, l’espace urbain a toujours été voué à la traversée. Fluide et colorée, par la grâce de la caméra aérienne, à la fois proche et distante, de Valérie Jouve, elle peut être imaginaire, et en noir et blanc, comme une cabane éclatée de Daniel Buren, qui phagocyte, sans vergogne, un paysage pixellisé de Xavier Veilhan.
C’est lors de ses traversées nocturnes que Villeglé arrachait des murs les épaisseurs d’affiches superposées et lacérées, qui s’estompent désormais derrière ce nouveau média urbain de communication que sont les «gratuits», destinés à accompagner les traversées souterraines de la ville.
Le Tunnel, ainsi gracieusement mis à la disposition du public, par Jean-Luc Moulène, compile les graffitis salaces et autres appels au meurtre, gravés dans le béton d’un passage souterrain de Bercy. Le minitel rose des années 80, face à la noirceur des tréfonds sordides de la ville du XXIe siècle.
Loin de ces interstices urbains, encore propices au retrait, la souris malicieuse des installations faussement interactives de Claude Closky, préfère débusquer la vacuité des discours publicitaires qui saturent et fictionnalisent l’espace et le quotidien. C’est par un télescopage télévisuel de guerre et de glamour, à la fois étrange et banal, qu’Ange Leccia pointe crûment la déréalisation du monde à l’œuvre dans les médias.
Avec les matériaux pauvres et rudimentaires qui ont les siens, Thomas Hirschhorn donne corps à une impossible collection. Impeccablement alignées sur des rayonnages, qui ne demandent qu’à être complétés, des mappemondes contusionnées, déformées, dévisagées, légendées de photos d’actualité, saturées de destruction et de mort, infiniment et tragiquement interchangeables, imaginent un répertoire des meurtrissures toujours recommencées de la planète. Leur fait face un autre déploiement régressif de débris accumulés d’armes en plastique, et de tanks tremblés de Gasiorowski. Alors que, dans une arrière-salle obscure, une vidéo en boucle de Thomas Demand étend à l’infini l’anxieuse et archaïque attente de la catastrophe.
Mais les salles ne sont pas toutes aussi convaincantes, d’autant qu’elles sont thématisées, de façon un peu artificielle, par des titres et des textes bavards, qu’il vaut sans doute mieux ignorer. La palme du contestable revenant à la salle «Identités et communautés», qui juxtapose dans un assemblage qui devient pour le coup excluant, et politiquement correct, des œuvres, par ailleurs intéressantes, mais dont on ne perçoit plus ici que les références ethnique ou religieuse.
Il y a encore des œuvres qui émergent, à l’instar des plantes vertes d’appartement, emprisonnées par Mathieu Mercier, dans une moderniste structure de bois mélaminé: la terre pelée comme une orange par Huang Yong Ping, dont l’écorce se déroule comme une épluchure, piquée de prédictions catastrophistes, pour les quatre prochaines décennies, quand, sur une vitre embuée de Mircea Cantor, s’évapore «l’imprévisibilité du futur»; une ville de prédateurs, qui, sous l’œil de la caméra d’Ange Leccia, débusquent leurs proies féminines à la lampe de poche, dans les replis obscurs des arrière-cours du monde; ou encore, les maisons de marbre incurvées et aveugles de Louise Bourgeois, cernées des rêves fragiles de Koo Jeong-a, croqués au stylo bleu sur papier rose.
Mais le repli de Nan Goldin, recluse dans une pièce sans ouverture, étouffée de souvenirs et de bigoteries en tout genre, qui piège le visiteur dans une impasse, est soudain très inquiétant, et jette le doute sur l’ensemble d’un parcours, qui aura finalement été sans surprise, ni prise de risque.
Et ce n’est pas la partie de l’exposition consacrée à l’architecture et au design, qui peut inverser cette sensation. Dans une salle appendice, l’échantillonnage, apparemment arbitraire, d’utopies et d’expérimentations diverses, tourne le dos aux préoccupations inquiètes des artistes, alors même que leur présentation mime l’installation artistique, au point de faire douter de la substance même des propos.
Après le passage sous le discret néon bleu Exit, d’Abdel Abdessemed, dont il a joliment fait tomber la barre du «t», le retour sur le parvis du Centre, dans la chaleur moite d’un mois d’avril trop chaud, est déconcertant. Scène privilégiée de toutes les collisions et disjonctions urbaines, sociales, et culturelles, d’une mégalopole — comme Jean-Luc Moulène les avait magistralement répertoriées pour Déposition, exposée au MAM de la Ville de Paris, il y a dix ans déjà —, le spectacle parisien fait pâlir Airs de Paris.
Gordon Matta Clark qui perçait en 1974 deux immeubles mitoyens du Centre alors en construction pointait magistralement le devenir muséal d’un quartier jusqu’alors populaire. La deuxième salle de l’exposition lui rend d’ailleurs un juste hommage, avec des remix de Pierre Huyghe et Rirkrit Tirananija, et surtout une percée de Carsten Höller, effectuée dans le corps même de la scénographie d’Airs de Paris: un interstice qui va s’élargissant depuis l’intérieur jusqu’à une baie vitrée qui ouvre sur le paysage parisien. Un geste magnifique, à la limite de la visibilité, qui travaille cet état propre à la déambulation urbaine, oscillant entre voyeurisme et distraction.
C’est aussi une invitation à expérimenter les traversées de la ville réelle, proposées par Anri Sala, Marcelline Delbecq et Rainier Lericolais, en taxi ou à pied, un MP3 sur les oreilles, débitant les bandes son concoctées par les artistes, et téléchargeables gratuitement sur le site du Centre Pompidou. Une ouverture indéniable à l’air du temps, aux ritournelles et autres remix d’aujourd’hui, et à des œuvres activables à volonté, immatérielles et gratuites, qui font du réel l’objet même de l’expérience esthétique.
Exposition Airs de Paris
HeHe
— Champs d’ozone, 2006. Étude préparatoire conçu pour l’exposition «Airs de Paris». Montage photographique.
— Champs d’ozone, 2006. Étude préparatoire conçu pour l’exposition «Airs de Paris». Montage photographique.
Gilles Clément
— Friche de Nanterre, 2006. Photographie.
Guillaume Leblon
— April Street, 2002. Film 16 mm en couleur 8. Silencieux.
Gordon Matta-Clark
— Conical Inter-Sect, (Etant d’art pour locataire, Quel Con, Quel Can ou Call Can) ,1974. Film 16mm couleur. Silencieux. 18’40”.
Saâdane Afif
— National (Los Angeles), 2002. Fripes cousues. 190 x 130 cm .
Marcel Duchamp
— Air de Paris, 1964. Verre et bois. 14,5 x 8,5 x 8,5 cm. Réplique réalisée sous la direction de Marcel Duchamp par la Galerie Schwarz, à Milan, en 1964. Original créé à Paris, en décembre 1919. Quatrième version du ready-made.
Jean-Claude Planchet
— Sans titre, 2006. Tirage numérique couleur. 80 x 117 cm. Production du Centre Pompidou pour l’exposition «Airs de Paris».
Mircea Cantor
— Sans titre (Unpredictable Future), 2004. Caisson lumineux. 60 x 80 cm.
Adel Abdessemed
— Zen, 2000. Vidéo couleur. 1’33” en boucle.
Valérie Jouve
— Sans titre (Les Personnages), 1998-1999. Photographie couleur. 100 x 130 cm.
Ange Leccia
— Ruins of Love, 2005. Arrangement vidéo, couleur. 6’ en boucle. Sonore.
Zaha Hadid
— Chef de projet Stéphane Hof, 1999 – 2001. Vue aérienne du terminal multimodal Nord de Hoenheim. Strasbourg.
Thomas Demand
— Tunnel, 1999. Film 35 mm. Loop. 2 min. Dolby SR.
Didier Fiuza Faustino
— Installation ZNS (Zentralnervensystem), 2006. Commande particulière de Marc et Josée Gensollen. Structure en alliage d’aluminium anodisé noir. Polyester enduit de polyuréthane noir, sangles de suspension.
Louise Bourgeois
— The Curved House, 1990. Marbre. 35,5 x 93,9 x 33 cm.
Bertrand Lavier
— Chuck Mc Truck, 1995. Skateboard, bronze patiné. 66 x 80 x 26 cm.
Philippe Rahm
— Diurnisme, 2006. Installation à la Galerie Laurin, Zürich, à l’origine du projet du même nom conçu pour l’exposition «Airs de Paris».
Daniel Buren et Xavier Veilhan
— La Cabane éclatée aux Paysages Fantômes, 2006 – 2007. Travail situé. Production du Centre Pompidou pour l’exposition «Airs de Paris».
Patrick Blanc
— Projet d’installation pour l’exposition «Airs de Paris», 2007.