Andres Serrano
Ainsi soit-il
Pour la première exposition d’un long cycle que la Collection Lambert organise à Vence, elle propose à l’artiste américain Andres Serrano de réaliser une grande exposition monographique, depuis ses premiers travaux du début des années 1980 jusqu’à ses toutes dernières séries consacrées à Cuba en 2012 ou à la Chapelle Matisse à Vence en 2015.
Depuis 30 ans, les photographies d’Andres Serrano font le tour du monde avec des expositions dans les plus grands musées. Yvon Lambert, né à Vence, a été le premier marchand français à s’intéresser à lui et à déceler chez le photographe ce rapport très fort avec la culture européenne et l’art ancien.
Invité à Paris en 1991, Andres Serrano rencontre le Père Benedetto qui, de l’église de Saint Eustache, guide les artistes qui souhaitent organiser des projets en lien avec l’Eglise. Serrano commence sa série The Church à Sainte-Clothilde où il réalise des photographies devenues des icones de l’art contemporain, tel le portrait de Sœur Yvette ou les mains de Sœur Jeanne Myriam. L’année suivante, Yvon Lambert le présente au grand historien de l’art Daniel Arasse qui, dans son célèbre texte Les Transis, fait un parallèle entre sa série The Morgue et les représentations classiques de Rembrandt ou de Leonard de Vinci.
Quand la Collection Lambert ouvre ses portes en 2000, elle donne l’opportunité à Andres Serrano de lui consacrer sa première exposition monographique en France (2006) et lui proposera même par exemple de renouer avec la tradition de la Comédie Française qui consistait à faire peindre ou photographier la troupe de Molière, de Mignard à Nadar, de David au Studio Harcourt. Il photographie les 42 sociétaires de l’illustre maison de Guillaume Galienne à Murielle Mayette, de Denis Podalydes à Catherine Hiegel en passant par Eric Ruf son nouvel administrateur général.
En 2014, dès que le nouveau maire de Vence, Loïc Dombreval a proposé à Yvon Lambert de retrouver une place de choix avec des expositions au château place des Frênes, le marchand et collectionneur a immédiatement proposé à Andres Serrano de commencer ce cycle d’exposition à Vence, lui-même venant d’acquérir auprès du photographe le magnifique Black Supper, un polyptyque représentant la Cène avec Jésus et ses apôtres plongés dans une nuée de bulles d’effervescence christique et de vitalité mystique.
Andres Serrano, enchanté par le projet d’exposition, a immédiatement accepté et proposé de réaliser une nouvelle série dans la Chapelle du Rosaire réalisée par Henri Matisse, (le peintre étant pour lui l’artiste français le plus spirituel du XXe siècle) comme en écho à sa série The Church qu’Yvon Lambert l’avait aidé à réaliser. Ainsi, l’exposition de Vence présentera des séries anciennes, celles des Fluids, des Church, des Nomads, du Ku Klux Klan (il faut imaginer cet artiste noir se retrouvant devant son objectif avec des Blancs ayant fait vœu d’éliminer les représentants de sa race), de la Comédie Française, celle plus récente réalisée à Cuba après le décès de sa mère, telle une nécessité de se rapprocher, enfin, de ses origines de descendant d’esclaves venus d’Haïti et Cuba où la ferveur chrétienne a toujours été associée à des traditions vaudous, et enfin celle réalisée pour l’exposition dans la Chapelle du Rosaire.
Andres Serrano traîne dans son sillage une réputation sulfureuse que nous n’avons pas tenté de dissimuler dans cette exposition. L’essayiste et romancier Georges Bataille est l’auteur parfait pour tenter de décrire l’œuvre de Serrano et faire comprendre les scandales qui ont entouré certaines de ses œuvres, celles qui ont défrayé la chronique, au point de devenir un sujet à l’ordre du jour au Sénat américain. C’était à la fin des années 1980, époque où le conservatisme de George Bush père était à son apogée. Andres Serrano avait reçu une bourse d’État pour son travail, la fameuse National Endowment for the Arts Grant, alors que les sénateurs les plus extrémistes avaient jugé scandaleux que de l’argent public ait pu servir à «salir» l’image des États-Unis et de la religion.
En 1989, apparaissait pour la première fois dans la presse newyorkaise une expression nouvelle, «le politiquement correct», qui s’imposera de facto dans le monde entier, alors qu’elle synthétisait toute l’absurdité d’une chasse aux sorcières dont l’histoire américaine possède une longue et triste tradition, comme le rappelait à merveille Arthur Miller avec sa pièce de théâtre Les Sorcières de Salem.
Georges Bataille décrit ce qu’il nomme La Part maudite de notre société. Avec ce livre éponyme paru en 1949, Bataille explique que cette part maudite constitue les excès de toute société. Elle entraîne parfois sa chute à travers la surenchère que représente, par exemple, son économie ou sa culture. Ce symbole de cadeaux et de dons échangés implique aussi des dépenses somptuaires, des dilapidations exceptionnelles inutiles dans le circuit de l’économie classique.
Ainsi on ne peut éluder cette dimension éminemment politique quand on expose Andres Serrano. Mais si son œuvre dérange par sa force de représentation tel un miroir de notre monde actuel — et de la société américaine en particulier — elle doit aussi être déchiffrée à travers des références permanentes à l’histoire de l’art, celle de la peinture classique et baroque en particulier. Il faut garder en mémoire ces deux voies pour mieux comprendre toute la consistance de ce travail photographique. D’un côté se révèle l’inquiétant visage d’une Amérique qui, en entrant dans ce troisième millénaire, s’est affichée au reste du monde encore plus conservatrice, radicale et sectaire qu’on l’imaginait — elle tente fort heureusement aujourd’hui de montrer une image plus apaisée et réconciliée avec le Monde. De l’autre, se confirme l’attirance du regard de l’artiste vers les grands maîtres du passé dont Andres Serrano ne retient que la face la plus sombre (on pense à Titien et Delacroix, Tintoret, Vélasquez mais aussi Goya, El Greco, Zurbaran, Géricault ou Courbet).
Lieu
Musée de Vence- Fondation Emile Hugues
2 place du Frêne
06140 Vence
Vernissage
Samedi 21 mars 2015