Michelle Dizon, Andreas Maria Fohr, Renée Green, Thierry Lefébure, Trinh T. Minh-Ha, Caecilia Tripp
Ailleurs ici
«Ailleurs ici » est né du désir de réunir au Quartier, des propositions visuelles qui racontent l’histoire du déplacement culturel. Ce déplacement est d’abord physique – l’artiste se trouve dans un lieu et y enregistre des images –; mais il est aussi politique et poétique – l’artiste pense le présent de la culture qu’il interroge et en fait une forme filmique, photographique, sculpturale, littéraire. Ce sont les œuvres qui sont le point de départ du dialogue qu’initie l’exposition. Les Music for (prepared) Bicycles (d’après John Cage et Marcel Duchamp) de Caecilia Tripp, dont les deux étapes se déroulent respectivement à Bombay (2012) et à New York (2013), intègrent la déambulation urbaine dans deux villes aux sonorités complexes qui font écho à celles des bicyclettes créées par l’artiste.
Old Land New Waters (2007) de Trinh T. Minh-ha convoque, sous la forme d’un diptyque, la réalité contemporaine d’un Vietnam originel, spirituel et historique où le travail des femmes sur l’eau transforme la grâce fluide en majestueuse résistance politique. La double projection proposée par l’artiste est un essai engagé où le médium numérique se dissout comme d’infinies particules d’eau. C’est par l’eau que commence la vidéo Perpetual Peace réalisée par Michelle Dizon aux Philippines en 2013, l’artiste se déplace en glissant sur la surface aquatique pour observer avec radicalité le mouvement d’un pays, pour saisir la densité d’une histoire contrariée. Le Space Poem #2 est composée des mots de Laura, un personnage que Renée Green a créé en 2009 pour son exposition au Maritime Museum de Greenwich-Londres. Fidèle à une méthode de recherche minutieuse, l’artiste pose les vers sur les bannières pour former un poème fragmenté qui renvoie à l’eau et à l’imaginaire le plus profond porté par la mer. Images mentales abstraites, interrogations tranchantes, ces mots constituent le socle d’une pensée qui navigue; les bannières dans l’espace sont autant de voiles qui appellent le vent.
Le déplacement dans l’installation d’Andreas Maria Fohr existe par les points de contact conceptuels qu’il crée dans l’espace qu’occupent ses travaux. Objets, images, sculptures, peintures murales, vidéos, textes, la corrélation entre les médiums agit comme un frottement nucléaire, moléculaire, cellulaire qui provoque au final une étrange explosion/implosion qu’il faut saisir à l’instant où la lumière se produit. La lumière est aussi ce qui meut Thierry Lefébure dans ses déplacements photographiques. En parcourant les paysages les plus divers en Europe occidentale et orientale, aux Amériques, en Asie, en Afrique, il regarde comment le lieu traversé peut s’imprimer sur la surface rayonnante de sa pellicule argentique. Ce qui est saisi avant et après la prise de vue est associée à la lumière qui devient très souvent le déclencheur de l’image à naître. Présentées pour la première fois sous la forme d’affiches de grand format, quinze images des dix dernières années ouvrent «Ailleurs ici» accompagnées du portrait d’un arbre intemporel de Jean-Baptiste Camille Corot (Paysage de Bretagne,1860-1865, prêté par le Musée des beaux-arts de Quimper) et d’une maquette de bateau en résonance avec les ex-votos marins.
On cherche à saisir ce qui se joue dans la distance qui sépare géographiquement, politiquement, culturellement, métaphoriquement les deux lieux à appréhender selon la position que l’on occupe dans le monde. Car il ne s’agit pas de déterminer ce qu’est le «ici» ou l’«ailleurs» (ils sont partout là à chaque instant) mais bien l’espace qui les lie ou les éloigne. Puisque le déplacement d’un point à un autre peut être multiple et évoquer à la fois le voyage, la migration, l’exploration, l’exode, ce qui fait le lien de toutes ces conditions est le mouvement nécessaire qui s’y rattache.