ART | CRITIQUE

Agnosie

PElisa Fedeli
@03 Déc 2010

Balthazar Lovay s'intéresse à la question épineuse de la vérité de la perception du monde. Son exposition s'intitule «Agnosie», en signe d'invitation à se laisser troubler par ce que l'on voit, ou plus exactement par ce que l'on croit voir...

Balthazar Lovay veut traduire notre perception du monde extérieur dans ce qu’elle a d’halluciné et de subjectif. Son exposition actuelle à la galerie Crèvecoeur s’intitule «Agnosie», en signe d’invitation à se laisser troubler par ce que l’on voit. L’artiste marche dans les pas des auteurs de science-fiction, de Philippe K. Dick à David Cronenberg, cherchant à provoquer chez le spectateur une perte de discernement entre ce qu’il voit et ce qu’il croit voir.

Parce qu’il s’intéresse à la question épineuse de la vérité de la perception, Balthazar Lovay privilégie des techniques qui laissent une place importante à l’automatisme, au hasard et au brouillage des pistes. Parmi celles-ci, il y a le dessin automatique. Dans une série, Balthazar Lovay a recouvert par des traits de crayons colorés des images noir et blanc. Le geste de sa main y a esquissé des lignes concentriques, qui aspirent le regard et en même temps lui font barrière.

Une des autres techniques que l’artiste expérimente, dans une approche qui laisse toute sa place au hasard, est la peinture par ordinateur. Collectionneur d’images, Balthazar Lovay a sorti de ses cartons des documents de tous genres, pour les superposer et les téléscoper.
Réalisée à l’aide de Photoshop, la composition des tableaux aboutit à un résultat surprenant. Les images entassées ont fini par disparaître, laissant la place à une sorte d’abstraction vaporeuse. En dépit de leur grand format, les tableaux perdent leur consistance dans la blancheur des murs de la galerie.
Au lieu d’un effet saturé qui apporterait du sens, on est face à une surface vide. Au lieu d’un enrichissement, on est face à un effacement. «Toutes ces images m’épuisent. A force de s’accumuler dans mes cartons, elles [mes images] finissent par former une masse étouffante, tout comme les images qui nous entourent au quotidien. C’est donc assez libérateur de les voir disparaître sur mon écran au fur et à mesure que je les empile», lance l’artiste interviewé par Fabrice Stroun.
En même temps qu’ils sont une réflexion sur l’appropriation, ces tableaux sont donc une manière pour l’artiste de critiquer, à juste titre, la masse des images qui nous dévore un peu plus chaque jour, où que nous soyons, et de dénoncer la perte de sens qui en résulte.

Au fond de la galerie, une sculpture suscite la curiosité, tant sa forme est loin d’être évidente. Il s’agit en fait d’un chapeau géant, dans la veine de ceux que fabriquent les carnavaleux du Nord de la France, de Belgique ou de Suisse. Balthazar Lovay a puisé dans le folklore de son pays natal, plus exactement dans celui des appenzellois, ces habitants suisses du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures qui ont pour coutume de se parer de coiffes et de masques spectaculaires lors de la nuit de la Saint-Sylvestre.
Traditionnellement recouvertes de représentations joyeuses de la vie quotidienne, ces coiffes manifestent la vision du monde de leur porteur et soulèvent la question de la représentation de soi. Le chapeau de Balthazar Lovay est parsemé d’images miniatures de l’Apocalypse, tirées des livres d’histoire de l’art, de Dürer à Piero della Francesca en passant par Véronèse et Dali. Les questions eschatologiques qui l’obsèdent habitent ce chapeau.
Mais loin de se satisfaire de sa vision personnelle et subjective, l’artiste a conçu d’autres chapeaux, se mettant chaque fois dans la peau d’un personnage imaginaire, afin de se laisser pénétrer par des perceptions étrangères. Il faudra attendre une prochaine exposition pour les voir tous réunis, ces chapeaux schizophréniques!

— Balthazar Lovay, Sans titre, 2010. Crayons de couleur sur papier. 27,2 x 20,8 cm
— Balthazar Lovay, Sans titre, 2009. Crayons de couleur sur papier. 17,7 x 11,8 cm
— Balthazar Lovay, Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus, 2010. Résine et peinture acryliques, styrofoam. 34 x 57 x 25,5 cm
— Balthazar Lovay, Träle póou, ma oun grou ädzó dé cóou!, 2010. Impression numérique sur toile. 135 x 135 cm
— Balthazar Lovay, Nochronos 6 (de la série «Nochronos»), 2010. Bois, polystyrène expansé, cuir, plâtre, acétate, peinture acrylique. 96 x 69 x 69 cm

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