We are all post exotics (nous sommes tous des post exotiques) : voilà une oeuvre de Fernando Alvim pouvant servir de mot d’ordre à l’exposition Africa Remix. Trop souvent cantonné au rang des fantasmes occidentaux ou au terrain des guerres intestines, le continent africain méritait bien une mise au point artistique.
La création ne se développe pas que dans un cadre politique idyllique. La preuve en deux cents œuvres au Centre Pompidou. Simon Njami et Marie-Laure Bernadac, les deux commissaires, ont concocté cette rétrospective d’art contemporain en évitant d’en faire une litanie géographique. Ils n’ont retenu que les plasticiens qui méritaient de l’être et non ceux qui symbolisaient un pays ou une région. Le résultat est forcément intéressant : en bon logicien, on a envie de dire qu’il est mathématiquement impossible de ne pas trouver des talents sur tout un continent.
L’événement n’est pas exempt pour autant de quelques lourdeurs et le surcroît de pédagogie dans les calicots ponctuant l’exposition est parfois agaçant. La division en trois volets — «Identité et histoire», «Corps et esprit», «Ville et terre» — frise le ridicule. On est peu demandeur de ce genre de simagrées surtout lorsqu’elles se font correspondances baudelairiennes, chaque section étant reliée à une couleur (le rouge pour «Identité et histoire», le bleu pour «Corps et esprit», etc.)
Mais le jeu en vaut la chandelle. Africa… nous laisse voir un état de la création loin des clichés anthropologiques, des arts primitifs et autres gris-gris mystiques. Des redites d’un artiste à l’autre sont parfois au rendez-vous. Certains y verront plutôt les lignes de force de ces plasticiens.
Et nous en faisons partie : un goût prononcé pour le portrait révélant une fascination pour les visages (Omar D., Ymane Fakhir, Marlene Dumas), un jeu sur les matières et les sensations qu’elles suscitent (Joel Andrianomearisoa et ses Murs, El Anatsui et son drapé d’aluminium), une force de la prise de parole au cœur même des œuvres (le recours au témoignage dans les installation vidéo).
Une autre est plus surprenante et l’on en vient à s’interroger (encore une fois ?) sur notre ethnocentrisme. Les plasticiens exposés revendiquent haut et fort un héritage esthétique qui lorgne du côté de l’Occident.
L’exemple le plus révélateur en est probablement Le Grand Nu américain (Great American Nude, 2002) de Hassan Musa. Sur fond de Stars and S tripes, le drapeau américain, un taliban s’offre nu à notre regard indécent. Les étoiles de l’étendard US sont remplacées par des Harley Davidson, les rayures sont l’occasion d’un jeu sur les tissus : les imprimés se bardent de rouge, noir et même de fleurs de roses. Le corps du fanatique se détache alors : une pose lascive, presque féminine, allongée sur le ventre nous offre une croupe à la Boucher. La chair rosit, l’œil du spectateur est voyeur. En un tableau, Musa revisite avec humour, talent et courage, la machinerie du désir picturale (on pense évidemment à Bataille et Foucault).
Tous les supports y passent avec plus ou moins d’acuité. La photographie est utilisée à de nombreuses reprises mais, s’il ne fallait en garder qu’un représentant, ce serait Omar D., un Algérien travaillant entre Paris et Alger. Deux clichés au cadrage sobre : le visage d’une vieille femme de profil et le gros plan d’une main et d’un avant-bras laissant deviner de riches étoffes et des bijoux scintillants. Avec peu d’effets, Omar D. laisse éclater un art consommé de la couleur et de l’épure technique. De quoi faire sérieusement de l’ombre aux œuvres photographiques alentour…
Deux installations méritent elles aussi d’être mises en avant : Room of Tears/Pedicule (2004) de Bili Bidjocka et Tabla (2003) de Moataz Nasr. Autant la première repose sur le recueillement, autant la seconde est une caisse de résonances. Bidjocka utilise la disposition d’un jardin zen, il amène le visiteur à se mouvoir de pierre en pierre sur un petit plan d’eau. Le procédé est poétique et tranche dans une exposition qui fait la part belle aux sons. Comme Nasr le fait d’ailleurs : un écran vidéo diffuse les enregistrements d’un joueur de percussions tandis que la salle est remplie d’une centaine de cet instrument de musique. Un dialogue entre des mains filmées musicales, vibrantes et des instruments réels inertes.
Africa Remix est une exposition d’envergure. Peut-être trop ? Trop d’œuvres, trop d’artistes… Les coups de cœur esthétiques sont pourtant légion et on a envie que le Centre Pompidou se lance dans des développements ultérieurs pour nous donner des nouvelles de ces artistes talentueux.