Philippe Mayaux
Æntre
Philippe Mayaux se singularise en n’arrêtant jamais son jugement sur le caractère définitif des choses. Il les emprunte au monde sans hiérarchie fixe, mais avec les principes qui gouvernent son mode de torture des matériaux en tous genres et sa science alambiquée de leur religion, sorte de prolongement du principe d’équivalence propre à Robert Filliou.
Arbres pervertis et gouailleurs, coïts impromptus, objets dévoyés, mécanismes suggestifs, entre modelages intempestifs et moulages explicites, la variété contraste avec la rigueur peinte de cette petite boutique des horreurs que forme sa série de tableaux. Si «la sculpture est le meilleur commentaire qu’un artiste puisse faire sur sa peinture», comme le suggérait Picasso, le parallèle sur les mérites respectifs de ces deux pratiques, le paragone, s’annule et se résout dans le travail de Philippe Mayaux, tant il semble s’abandonner à son irrésolution chronique avec une certaine délectation schizoïde. Il produit des engins très contre-productifs, machines absurdes qui contredisent leur vocation utilitariste, cela hoquette, tousse, respire et semble s’animer d’une vie précaire en évoquant la vanité de toute mécanique humaine.
Il enferme dans des carottes de verre qui ressemblent à celles que l’on prélève dans les glaces antarctiques de petites collections d’objets qui ne sont pas des rebuts exposés en offrande à la société gourmande, mais les échantillons mêlés d’une culture inconnue, de délicats reliquats, des choses sans nom qu’il dénombre, des artifices. Vitrines cylindriques où la matière choit, accumulations sans saturation, hermétiques cercueils où se décomposent quelques vestiges sauvegardés, ces balises de notre temps sont aussi dérisoires que le sont souvent les trouvailles archéologiques. Intestinale vision kaléidoscopique d’un éparpillement horizontal, conditionnement tubulaire où la procession des objets marque la lisière d’un imaginaire incertain, en distillant une certaine mélancolie clinique.
Mais la peinture n’a de cesse de réquisitionner son intérêt et l’amène à réaliser quelques perquisitions du bon goût où, là encore, un joyeux bric-à -brac fait coexister une foule d’archétypes et d’images improbables.
Ici, ce ne sont que monstres et désordres figés, iconographie déroutante qui nous invite à envisager ces masques de cinéma comme les fonds de caisse d’un Hollywood en déshérence de série B. Il peint les désastres du visage monstrueux qui nous toise, l’œil au centre, en trop gros plan, pornographie qui mêle le malaise à l’humour, la répulsion à l’attraction. Malgré le cadrage serré il y a toujours cette ouverture, ce passage étroit vers un arrière-plan hermétique et pourtant térébrant. L’aspect «peinture d’écolier appliquée» est assumé, mais c’est comme si le dernier de la classe avait soufflé l’idée au plus virtuose de ses camarades. Théâtres miniatures, petites natures, travail d’enlumineur, dextérité de Lilliputien qui s’arc-boute sur son ouvrage tel ces artistes flamands qui travaillaient le nez dans le guidon, sur le chevalet de leur patience. On est à côté du hublot, pas vraiment devant la baie vitrée d’Alberti. L’image semble être cruellement circonscrite dans ce cadre restreint qui détermine un hors-champ édifiant et nous invite à prolonger par l’esprit ce fragment, ce prélèvement dérisoire, comme un morceau de tissu rapiécé sur le genou d’un géant.
Il semble une fois de plus adorer ce que tout le monde déteste et, s’exonérant de tout concept, c’est mu par une sorte de pulsion scopique désinhibée que, l‘art de rien, il produit une cuisine hallucinatoire et baroque à la sauce Kippenberger, un kitsch mâtiné de l’esprit de Broodthears, parfois aussi optiquement acidulé que chez Peter Saul. Philippe Mayaux fait souscrire au fait que l’on peut aimer les choses moches, transgresser en cherchant à tordre le cou aux idées reçues, mais surtout, en les utilisant.
Ailleurs, ce ne sont qu’explosions nocturnes et délabrements divers, subversive allusion au chaos du monde et à l’infinie variété des aléas majeurs qui retiennent l’attention. John Martin s’accorde avec Magritte par la magie (anagramme fameuse d’image) de ces catastrophes en forme d’apocalypses naines, formats réduits aux effets grandioses. Son inventivité dadaïste l’oriente vers un art jouant sur les ambiguïtés du langage et de l’image. Ses mots en filigrane, qui viennent troubler la lecture directe par surimpression, brouillent toute entrée littérale dans l’œuvre. Il n’écrit pas, il peint des lettres, en fait un motif graphique qui parasite l’image, un spectre licencieux. Ses tableautins enserrés dans leurs écrins défient les lois de la vraisemblance. Par l’entremise de sa touche précise, il neutralise toute distance idéale, il nous faut alors sacrifier à l’approche prédatrice exigée par la toile et ses dimensions équivoques pour qu’elle nous convoque dans son microcosme vain, ce ravissement induisant la forme de recueillement qui sied à l’image lorsqu’elle est faite de main d’homme.
Par «paresse» et non sans cynisme, à la limite du «ready paint», il s’exonère des sources en peignant «n’importe quoi» et rejoint Hans Richter, qui avançait que travailler d’après photographie lui ôtait, avec un certain soulagement, la difficile obligation de choisir un sujet. Une autre manière ironique de s’éloigner de l’art traditionnel et de ses enjeux idéologiques et esthétiques. De définition, il n’en sera donc pas question, l’art de Philippe Mayaux n’est en rien définitif et reste irréductible à tout propos, si bienveillant et esthétiquement favorable soit-il.