Tandis que le monde célèbre le centenaire de Merce Cunningham (1919-2009), se multiplient les expériences mêlant chorégraphie et technologie. Pionnier dans les interactions entre spectacle vivant et informatique, Merce Cunningham a notamment ouvert une brèche en confiant à des algorithmes (programme LifeForms, 1989) le soin d’écrire les mouvements. Ou, autrement formulé, en exportant une partie de sa créativité sous forme d’algorithmes chorégraphes. En trente ans, l’écriture informatique s’est complexifiée et dorénavant les programmes ne sont plus tant des extensions personnelles que, poussés au maximum, des personnes en soi. Et que ce phénomène anthropologique reste à venir, ou qu’il ait déjà eu lieu, il lui faut trouver des formes culturelles. Mais comment créer du commun en telle terra incognita ? La plongée dans un univers peuplé d’inconnu.e.s, voilà un peu ce que propose Acqua Alta (2019), d’Adrien Mondot et Claire Bardainne (Cie Adrien M & Claire B).
Acqua Alta d’Adrien Mondot et Claire Bardainne : un projet en trois volets
Projet tripartite, Acqua Alta se déploie ainsi en trois moments. Acqua Alta – Noir d’encre : un spectacle de danse, théâtre et images numériques vivantes. Acqua Alta – La traversée du miroir : un livre pop-up en réalité augmentée, où le support papier et les dessins servent de décors à l’histoire. Et Acqua Alta – Tête-à -tête : une expérience en réalité virtuelle où l’une des scènes est vécue de façon immersive dans un casque individuel. Seuls ou ensembles, ces trois moments forment une expérience interdisciplinaire. Expérience où chacun peut choisir sa distance, son degré d’engagement. Poétique et imaginaire, Acqua Alta s’appuie sur une trame narrative. Le début est simple : il y a d’abord un couple ; un homme et une femme — les danseurs Dimitri Hatton et Satchie Noro. Ils sont dans une maison, leur maison, et ils y vivent une vie frôlant l’absurde. Puis un jour la pluie arrive, et c’est l’inondation.
Acqua Alta : entre submersion et immersion, une plongée poétique dans l’inconnu
La maison est engloutie dans une mer d’encre et, de la femme avalée par les eaux, ne restent alors que les cheveux mouvants. Avec la pièce Acqua Alta – Noir d’encre, l’impensable a eu lieu. Il faut maintenant composer avec, se frayer un chemin dans l’inconnu et l’altérité pour s’y créer de nouveaux repères. Composer avec la frayeur pour aller retrouver celle qui a disparu. Où est-elle cachée ? Jeux de projections qui se superposent et d’images qui réagissent au mouvement, le décor se fait tactile. Si habituellement la lumière est immatérielle, intangible, et semble ne pas réagir au contact, ici elle devient haptique. Les mouvements des interprètent déplacent les particules de lumières comme autant de lucioles à apprivoiser. Jeu sur les émergences, Acqua Alta multiplie les poésies, avec des personnages qui apparaissent et disparaissent.
Un projet mêlant danse, théâtre, réalité augmentée et expérience immersive
Tirant son nom (littéralement ‘eau haute’) des inondations vénitiennes, liées aux pics des marées, Acqua Alta tient l’entre deux. Comme les ‘acque alte’ : entre catastrophes naturelles et évènements récurrents, la pièce arpente la lisière. Celle où se chevauchent le connu et l’inconnu. Prenant les spectateurs par la main de l’imaginaire, Acqua Alta offre une possibilité de se familiariser avec des modes de représentations aussi nouveaux que récurrents. À l’écart de la publicité, ou du seul technoptimisme, Adrien Mondot et Claire Bardainne livrent ainsi une expérience sensible, suspendue entre mélancolie et humour poétique.