Nicolas Savary et Yveline Loiseur privilégient la vision sociologique, option conceptuelle, qui contextualise la place de l’adolescent dans le cadre historique, en le reliant aux données spatiales, architecturales dans les conventions esthétiques usuelles.
Marion Poussier et Marie-Noêlle Boutin lui préfèrent l’approche sensible de l’adolescent dans son univers quotidien ou intime, intégrée dans le portrait de groupe où chacun se reconnaît dans la théâtralisation des postures de sa relation à l’autre; ou bien de la description psychologique personnalisée, où la solitude des expressions saisies renvoie à la grâce et à la beauté éphémères de l’instant.
Ces différentes démarches se recoupent et s’interpénètrent, créant des ponts qui constituent de l’exposition «Adolescences critiques».
— Nicolas Savary, L’âge critique, Fribourg (Suisse), 2006
Nicolas Savary a effectué ses prises de vues dans divers établissements suisses. Les mouvements, postures des élèves sont chorégraphiés par l’autorité scolaire, et déclinés dans les structures institutionnelles qui vont du directeur, des enseignants, aux surveillants, secrétaires, et personnels de service.
C’est fort de cette analyse préalable et de son observation en amont, que Nicolas Savary a mis en place un dispositif où les élèves ont participé à une mise en scène de leur propre vie dans ces établissements. Approche qui a nécessité de longs temps de préparation et de maturation partagés.
Ce travail, s’est donc imposé au fur et à mesure, comme une sorte d’enquête visuelle, devenue produit d’un choix concerté entre l’opérateur et ses sujets photographiés. Mais il a su préserver une dimension psychologique subjective et introduire une distance conceptuelle, qui permet au spectateur ultérieur de développer une réflexion tant soit peu objective.
— Yveline Loiseur, Photo de classe, Pont-Audemer, 2006
Yveline Loiseur a choisi de travailler dans le cadre d’un projet conçu par le Pôle image Haute Normandie et le FRAC Haute Normandie pour le lycée Jacques Prévert, dans l’esprit de la frise et de «la peinture murale».
Elle a composé chaque image avec une scénographie d’ensemble, afin de recréer une forme nouvelle de «photo de classe». Elle a pu y parvenir en faisant participer les élèves à l’élaboration des prises de vues, au travers d’une mise scène épurée, où le fond neutre ne disperse pas le regard.
Ses modèles ont pu jouer ou rejouer leurs rôles de personnages en quête d’identité collective, mimant des attitudes et des émotions, reflet maladroit de leur relation avec leurs camarades.
— Marion Poussier, Un été, Morlaix, Fouesnant et Avignon, 2003-2005
Les images de Marion Poussier marquent aussitôt l’esprit du sceau de leur évidence, images évidentes de l’adolescence au coeur de l’été, où viennent se bousculer tant de réminiscences enfouies, pour ceux qui ont vieillis, et de rêves au présent avides d’avenir pour ceux qui le vivent encore. L’été ce temps de tous les amours et de toutes les tristesses, habités des rêves les plus fous.
Ce «naturel» qui semble être ici le fruit d’une mise en scène savamment dirigée, n’est en fait que le résultat d’une rencontre entre le photographe et ces adolescents spontanément laissés à eux- mêmes.
Et c’est ce paradoxe entre la théâtralisation induite par le sens du jeu des adolescents qui se mettent en scène, et cette impression de réalité primesautière saisie par l’artiste comme simple témoin, qui crée ce décalage entre distanciation et naturel et renforce malgré les artifices, l’ambiguïté de cette période très justement surnommée: “critique”.
— Marie-Noëlle Boutin, Territoires de jeunesse, Ribérac, Bruxelles (Belgique), 2011-2012
Marie-Noëlle Boutin a traqué la grâce de cet âge précaire, et pour ce faire s’est penchée sur l’intériorité délicate de chaque être, saisie dans sa faille sensible. Cette approche nécessitait que l’on réalise des portraits, qui rendent compte à travers chacun de cet univers intérieur qui fait se rejoindre le singulier et l’universel.
Univers si ténu, mais si obstinément révélé par la photographe qu’il ressemble étrangement le plus à ce que les adolescents veulent cacher, ou ne pas montrer. Et c’est donc sur un travail de portraits que se clôture ce paysage des «adolescences critiques », là où l’individu est appréhendé dans ce qui le caractérise personnellement et le différencie des autres.
Ces images sont dénuées d’artifices de composition ou de représentation sociale, Marie-Noëlle Boutin s’étant faite presque oublier derrière son viseur, en réduisant sa mise en images, au seul cadrage et à ses déplacements dans la respiration ambiante.
Vernissage
Jeudi 7 férvier 2013 à 18h30