Avant d’être galeriste tu étais étudiante.
Adeline Jeudy. Depuis l’âge de dix neuf ans je travaille en galerie. J’étais assistante et en parallèle je gérais les affaires d’un artiste. J’ai toujours mené une double vie. J’ai toujours mené une double vie ! A l’université, je me suis spécialisée sur l’art chrétien oriental et je suis partie vivre quelques années en Egypte, au Caire, où je travaillais ma thèse à l’Institut Français d’Archéologie Orientale. Là-bas j’ai appris l’arabe, ce qui me sert toujours aujourd’hui ; pour mener mes recherches, j’ai vraiment vécu une vie d’Indiana Jones, parcourant tout le pays. Il y a encore quelques années j’arrivais à mener mon travail universitaire avec l’exigence du marché de l’art. Même quand j’écrivais ma thèse, j’arrivais à jongler avec mes deux passions. Le matin j’étais médiéviste, spécialiste de l’art copte égyptien et dans la journée j’avais un pied dans le marché de l’art d’aujourd’hui. Désormais j’ai raccroché mon tablier d’universitaire, parfois les “plaisirs intellectuels” que ça pouvait procurer me manquent, et je me sens un peu coupable de ne pas avoir continué dans la recherche, car des gens comptaient sur moi. Mais je ne regrette rien.
Tu t’es très tôt occupée d’artistes.
Adeline Jeudy. J’ai toujours aimé m’engager pour montrer des artistes et défendre mes choix. Dès 2006 j’ai monté une petite association qui promouvait des artistes. J’ai eu la chance de proposer une exposition qui a bien marché. J’ai loué l’espace Beaurepaire, près du canal Saint Martin, pour présenter des artistes urbains. J’ai obtenu leur confiance en vendant beaucoup de leurs pièces. Je dois une fière chandelle à Fafi qui depuis travaille avec moi. Cette expérience m’a appris à monter une expo de A à Z. J’ai trouvé le financement de l’opération. Présenter des artistes urbains facilite le sponsoring. Je me suis tournée vers des marques de streetwear, en l’occurrence Carhartt etVans. Il a été plutôt facile d’obtenir les 10000 euros de l’opération. Certains artistes m’ont demandé ensuite de les représenter. Ils étaient visibles en galerie mais ils n’en étaient pas totalement satisfaits. C’est comme ça que je suis devenue leur marchande. Les demandes d’achat transitaient par mon site internet et je trimballais les toiles dans le métro dans un petit caddie. Je me rendais chez les collectionneurs pour leur montrer les pièces.
Tu as eu l’opportunité d’entrer à la galerie Beaubourg.
Adeline Jeudy. J’ai rencontré Claude Lemarié. Il souhaitait un regard neuf sur sa galerie. Il a été séduit par mon dynamisme. Très rapidement il m’a demandé de m’occuper de la galerie. Il a soutenu mes choix. Il a accueilli mes artistes et a appuyé mes décisions. Nous sommes devenus associés. Dans un premier temps, je me rétribuais grâce aux missions que me confiait l’artiste avec lequel je collaborais. Je jonglais avec ces deux boulots plus la fac.
Pourquoi avoir abandonné l’art copte pour l’art contemporain ?
Adeline Jeudy. Après la soutenance de ma thèse il était évident que l’institution universitaire n’admettrait pas d’autres choix que le sien. C’est un monde très fermé d’esprit. De toute façon, l’équilibre était déjà fragile. La situation était précaire. A un moment donné il fallait choisir. A force de se spécialiser il devient difficile de mener de front deux projets aussi différents. A un moment donné il faut se consacrer à cent pour cent à l’un d’entre eux. C’est un hasard, mais trois semaines après ma soutenance je suis devenue galeriste. Travailler et écrire des articles scientifiques à côté n’a duré qu’un temps.
Ta galerie est spécialisée en art urbain ?
Adeline Jeudy. Je ne viens pas du monde du graffiti. J’ai appris au contact de l’art contemporain. J’ai eu l’opportunité de rencontrer des artistes comme Fafi et, de fil en aiguilles, j’ai rencontré beaucoup d’autres artistes tout aussi formidables. Il n’y avait pas d’intention ni de préméditation. C’est une question de génération. Je prête davantage attention à ces artistes que mes prédécesseurs.
Quelles sont les nouvelles orientations de la galerie ?
Adeline Jeudy. Depuis deux ans je présente beaucoup d’images, j’ai envie de me diriger vers des choses plus conceptuelles. Je veux porter un message tout aussi fort, mais qui s’exprime de manière plus subtile. Nous avons une image Pop et je veux aller vers des choses moins immédiates, moins faciles.
Tu es en recherche de reconnaissance ?
Adeline Jeudy. Je suis là pour convaincre les sceptiques. Notre couleur est très Pop et cela jure un peu avec la culture française. Plus généralement c’est le figuratif qui est décrié. Mes artistes sont dans l’exagération. Les toiles sont extra-figuratives, ce sont des cartoons. Mais ce sont plus que des images marrantes. Elles expriment l’état d’esprit d’une génération. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a que Perrotin qui peut montrer des artistes comme Murakami ou Mr. Je suis là pour diffuser cette bonne parole.
Pour grandir tu mises sur les foires.
Adeline Jeudy. La reconnaissance du milieu passe par les foires. Mais il faut avoir les moyens de se le permettre. Ce n’est pas facile. Le problème c’est qu’il y a une multitude de foires médiocres. Pour l’instant je fais à ma mesure. En novembre ma première expérience à Berlin a débuté par Preview. Je reviens de New York où j’ai participé à un off de l’Armory Show, Bridge. J’ai été très déçue. L’opération a été une catastrophe. J’avais préparé un stand aux petits oignons pour les américains. J’ai présenté des artistes et un art qu’ils adorent. Je suis partie à la quête d’un Eldorado qui s’est transformé en fiasco. Il y avait du monde, les collectionneurs passaient, j’ai pris énormément de contact avec des organisateurs d’autres foires mais l’édition a été très mauvaise pour tout le monde. Il faut se le dire, le marché américain est sinistré. Les américains n’achètent plus. Ils ont tout arrêté. Le budget foire est quelque chose d’important. Rien n’est signé, mais je devrais faire un des off de Bâle cette année. Il faut aussi que financièrement je puisse me le permettre.
Pourquoi déménager dans le Marais ?
Adeline Jeudy. Je quitte Beaubourg pour me rapprocher d’un quartier qui est davantage proche de ma programmation. Claude Lemarié va se retirer dans quelques années et je serai toute seule à la barre. Je voulais un lieu à moi, plus féminin, à taille humaine. L’espace de la rue du Renard, derrière le Centre Pompidou, était génial. J’ai eu la chance de commencer dans des conditions idéales que beaucoup pourraient m’envier. Mais les qualités du local, 120 m2 avec des murs de 4m de haut, étaient en contradiction avec le mode de production de mes artistes. Ils travaillent sur des petits formats et il était difficile aux collectionneurs d’imaginer les tableaux chez eux à cause de ce loft gigantesque. Mon nouveau lieu, un ancien magasin de meubles, est mieux ajusté, mieux accordé avec ma stratégie commerciale.
Tu es placée entre la rue de Turenne et la rue Saint-Claude, tu as été voir tes voisins ?
Adeline Jeudy. Dans la mesure où je n’existe que depuis deux ans, j’ai encore beaucoup à faire pour que mes confrères me connaissent. Il y a énormément de galeries à paris. Il y a en presque autant qui ouvrent et qui ferment chaque année. J’imagine qu’on ne me connaît guère encore…. Mais j’y travaille J’ai lancé pour la première fois ma candidature à Galeries Mode d’Emploi. Je me lance dans les foires.
C’est courageux de travailler en temps de crise.
Adeline Jeudy. La seule chose qui est effrayante c’est d’avoir un bail à son nom. Maintenant je suis complètement responsable financièrement. Il faut vraiment batailler pour joindre les deux bouts et arriver à tout payer. Sinon le travail reste le même. La crise change beaucoup de choses. Au final les artistes sont rassurés de pouvoir compter sur une base solide. La galerie reste l’endroit où ils peuvent exposer et faire connaître leurs travaux régulièrement. Je travaille pour moitié avec des français et pour moitié avec des américains. Ces derniers sont ravis de voir que je fais aussi bien que leur grosse galerie de New York. Mais plus tu te développes, plus les artistes rêvent d’opportunités et plus il est difficile de les garder. J’ai noué au fil de ces années des relations d’amitiés avec certains d’entre-eux. C’est plus facile. J’ai la chance de travailler avec des artistes intelligents. Ils comprennent que le galeriste ne joue pas contre eux. Je le rappelle car les jeunes artistes peuvent parfois être très paranos. A peine sortis des Beaux-Arts, ils peuvent croire que tout est gagné alors que tout commence. Mon rôle est de les mettre en valeur, de les faire briller et de les accompagner. Un artiste ne peut pas exister tout seul. Il doit s’appuyer sur des connaissances et un réseau. Voilà à quoi je sers.
Galerie L.J.
12, rue Commines
75003 Paris
Horaires d’ouverture : mardi-samedi 11h-19h.