Il est très difficile pour un artiste d’apposer un style, d’être immédiatement repérable et reconnaissable, d’inventer, d’être source reconnue d’innovation. Tout ça sans se laisser enfermer et contraindre dans un cadre trop strict, limitatif voire simplificateur.
C’est à la recherche de ce dosage subtil que doit se confronter désormais Nicolas Chardon. L’idée est déjà présente. Tendre des tissus à carreaux, damassés, tartans, sur un châssis classique, les peindre en blanc puis structurer un dessin géométrique (ou un texte, parfois) en suivant les lignages souples et déformés du tissu.
Un postulat de départ original qui offre de multiples possibilités de développement; un choix judicieux en terme, forcément réducteur, de stratégie. Reste le plus délicat: déterminer le sujet. Et pour ce faire, le peintre prend appui sur une histoire de l’art récente, depuis disons l’apparition des abstractions successives du début du siècle passé.
A n’en pas douter, il doit probablement en avoir marre d’être systématiquement comparé ou analysé sous le spectre de Kasimir Malevitch, Jasper Johns, Frank Stella & Co. Mais, après tout, il l’a bien cherché, non? Disons, en tout cas qu’il l’a, au moins, cherché. Et ce, de manière plus ou moins évidente: le Carré noir, icône de Malevitch remise dans son contexte originel (en haut du mur, dans un angle) ou Cible noire, reprise de Stella s’amusant lui-même de Johns, dont les «cibles» apparaissent également chez notre néo-abstrait. De manière plus indirecte, Auto-reverse peut faire penser aux jeux de décentrement et de vibration de Morris Louis ou encore Mosaïque qui semble continuer l’œuvre des Néo-Géo.
En résumé, un bien bel aréopage de peintres abstraits dans lequel il se situe tout à la fois en héritier et en adolescent rebelle.
On ne se place pas ici, en effet, dans une redite de l’abstraction historique. Une continuation des enjeux entre hommage et critique, mais un positionnement personnel qui s’affirme par la subtilité. On pourrait prendre pour exemples significatifs trois œuvres de l’exposition: Cible losange, Composition 3 figures rouges et Mosaïque.
L’apparition du tissu tendu va se faire de manière progressive à travers ces trois pièces. Sur la tranche de la toile tout d’abord, puis rendu visible grâce à la translucidité du rouge qui fait ressurgir le motif sous la forme, avant de devenir élément central reléguant la peinture sur les bords du cadre. Un jeu technique qui montre l’expérimentation opérée par l’artiste sur sa propre œuvre.
Certes, on pourrait regretter l’absence dans l’exposition, comme il a eu l’occasion de le faire auparavant avec Steady, Stabile ou Relief, de pièces venant jouer le rôle de perturbateur d’une lecture qui pourrait être hâtivement linéaire. Tel est peut-être le rôle d’Abstract, déclinaison-manifeste de sa démarche, ou la collaboration Cercle et Carré avec Michel Verjux présente dans «La Vitrine». Il semblerait plutôt qu’il ait choisi de nous laisser libre d’apprécier, par le détail, les bouleversements d’une abstraction redevenue sensible.
A l’instar des différents Carré de Malevitch qui n’en sont pas, Nicolas Chardon demande à relire sa Peinture abstraite par la vibration (geste), par le déplacement (concept). De quoi nous faire oublier le père.
Liste des œuvres
— Nicolas Chardon, Abstract, 2009. Acrylique sur tissu. 145 x 780 cm (total).
— Nicolas Chardon, Auto-reverse, 2009. Acrylique sur tissu. 4 tableaux, 120 x 120 cm chaque.
— Nicolas Chardon, Mosaïque, 2009. Acrylique sur tissu. 12 tableaux, 80 x 80 cm chaque.
— Nicolas Chardon, Cible losange, 2009. Acrylique sur tissu. 170 x 170 cm.
— Nicolas Chardon, Carré Noir, 2005. Acrylique sur tissu. 60 x 60 cm.
— Nicolas Chardon, Composition 3 figures rouges, 2008. Acrylique sur tissu. 73 x 60 cm.
— Nicolas Chardon, 3 figures noires, 2002. Acrylique sur tissu. 97 x 130 cm.