Niels Trannois
Above sea level kind of things
La galerie nous signale que l’artiste ne souhaite transmettre que ce visuel pour le moment.
Niels Trannois a travaillé la notion d’apparition et de diffraction de l’image picturale. La mise en espace des Å“uvres proposées s’offre alors comme la possible saisie d’un relief mental qui aurait été immergé par un écoulement de sensations immédiates, le corps «baigné» de l’image venant progressivement faire surface au dessus du niveau de la mer, de la réalité et du visible. Eclipsée, puis partiellement retrouvée, l’image emprunte à l’art de l’estampe japonais cette idée de flottement, que l’on nomme «Ukiyo e» littéralement «image du monde flottant». C’est l’image mentale de cette pratique qui intéresse Niels Trannois: une forme de la suggestion liée à sa peinture plus qu’un intérêt pour une technique en soit; la projection qu’il s’en fait plus qu’une motivation culturelle ou historique.
Pour rendre compte de cette idée de suspension de la vision, l’artiste a configuré l’espace à partir d’une pièce posée comme le seuil d’ouverture de la scène d’exposition: le comptoir en bois qui ponctue l’entrée de l’espace garde sa fonction usuelle, domestique; celle d’une médiation entre deux lieux, deux niveaux de réalité codifiées. Immergé à mi-hauteur pendant 5 mois dans une carrière inondée des environs de Poitiers, puis mis en cale sèche et rehaussé peu de temps avant le vernissage d’un tablier en Terrazzo noir (éclats de marbre blanc pris dans une résine époxy noire), le comptoir donne à voir les stigmates de son histoire, le niveau de l’eau y ayant imprimé sa trace. Cette pièce construit un point de fixation du corps: au delà de cette limite se meut l’impalpable. Surface paradoxale, «naturalisée» par le temps, elle ne constitue pas moins un artifice, un dispositif de mise en scène: «Above sea level kind of things» serait ainsi le développement de séquences fantasmées d’un protagoniste lambda qui, accoudé à un comptoir, voit ses pensées mises à nu dans l’espace, celles-ci allant imprégner une surface de projection sensible.
Derrière le comptoir, l’artiste a accroché un ensemble de peintures-collages à la surfaces des «accroches mentales»; les possibles traces d’une mémoire enfouie émergent au milieu d’un défilement de sensations instables. Formes et matériaux entretiennent un dialogue minutieux et fluide pour tenter de cerner une sensation mentale par sa périphérie: «il y a ce projet de regarder les choses et de les repenser rétroactivement, de les laisser reposer un temps puis de les flasher, les saisir à l’aune du souvenir qu’il en reste», écrit l’artiste dans un de ses textes.
La peinture de Niels Trannois sans cesse renvoie à une perception aqueuse ou liquide, joue sur les registres de flux et de décantation. Chaque forme a sa propre autonomie sur le plan tout en participant à celle qui l’avoisine. Lorsque l’artiste utilise des impressions huilées, les feuilles sont simplement fixées par des punaises ce qui laisse filer l’air entre les différentes couches. Pour mettre en balance la violence d’impression de la forme avec la lenteur du processus pictural, l’artiste utilise de la poudre de marbre qui aspire la lumière, flashe les images sur le papier, les impressions sont passées à l’huile de lin, pénétrant le papier pour le rendre transparent et faire transpirer la couleur qui y est appliquée au dos. Les monotypes transfèrent les formes à la surface du bois gratté qui, dans la lenteur de leur processus d’imprégnation viennent à rebours des impressions sur papier où l’image est brûlée instantanément.
Chez Niels Trannois, les narrations élaborées à travers les titres de ses Å“uvres ne viennent pas appuyer ses peintures mais se construisent parallèlement à celles-ci. Le travail d’écriture entretient la polysémie de l’image, renforce la sensation que notre regard est soigneusement maintenu par l’artiste dans un hors-champ.
La question qui guide le geste de l’artiste pourrait être alors celle de savoir comment condenser un flux de perceptions à l’intérieur d’une forme, lui donner une unité sans casser le mouvement, nommer une sensation sans la briser. Sans cesse l’image se loge là où la réalité n’a pas complètement cédé, dans cet entre-deux, lieu de transition où la forme n’est pas encore ou plus tout à fait sûre d’elle, se tenant prête à se rétracter ou à éclater.
Entre le voile et le comptoir, demeure l’abyme qui sépare le désir de son objet et dont le spectateur prend alors la mesure. La distance posée par cette barrière physique génère une forme de myopie, métaphore de cette trajectoire de l’Å“il soumis à l’instabilité des formes qui affleurent la surface de sa rétine.