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Abécédaire

À l’origine il y a le projet ambitieux, beaucoup plus vaste, de constituer un Abécédaire de la danse composé de vingt six pièces courtes comme autant de lettres de l’alphabet. Dans cette version proposée au Centre national de la danse, il ne reste que trois lettres : V comme Ventre, G comme Gravité, et I comme Interprète.
Il ne s’agit pas tant d’expliquer certains mots, de définir en un précis le vocabulaire de la danse, mais d’en proposer une illustration, à l’image de ces travaux au point de croix ou de ces grands tableaux destinés aux enfants. C’est là toute la force du projet : ne pas se perdre en explications mais, par la mise en œuvre de dispositifs, donner à voir ce qui fait l’enjeu des termes retenus, tout en partageant avec le public un savoir dansé qui permettrait ce que Fabrice Lambert nomme « l’entraînement régulier du public ».

Or, en confrontant la danse au texte, il se produit une réaction fertile, la lettre et les mots procédant à une sédimentation naturelle de ce qui, en danse, est par essence volatile.

Ainsi le passage à l’écriture et l’accession au statut de chorégraphe se trouvent en premier lieu questionnés par l’installation I comme Interprète, qui sert aussi bien de prélude que d’épilogue aux deux spectacles.
Fabrice Lambert donne la parole à treize danseurs qui expliquent ce qui fait leur métier d’interprète, ce qu’ils aiment ou non, et, entre autres, leur relation à l’écriture chorégraphique. Obligé de s’asseoir au sol, le spectateur prête l’oreille à ces confidences anonymes. Car si l’on nous livre leur âge, leur nationalité ou la profession de leurs parents, ces danseurs n’ont pourtant pas de noms. Leur identité se confond avec leur rôle d’interprète : spécificité de la danse que de ne pas identifier les corps, de les confondre dans l’anonymat. I comme Identité donc, auquel le mot interprète semble se substituer.

On retrouve ce troublant anonymat dans V comme Ventre, où l’interprète de Fabrice Lambert, entièrement enveloppé dans une parcelle de moquette rouge, forme une sculpture abstraite qui va se rétracter sur elle-même. Effectué le plus imperceptiblement possible et coordonné au travail d’ambiance sonore et lumineuse, ce simple geste de contraction permet de révéler l’existence d’un ventre. On a l’impression que tout l’environnement forme une enveloppe, une nappe d’espace-temps qui se replie sur elle-même. Or cette image traduit parfaitement la sensation qu’éprouve le danseur en début d’entraînement, au sol, retrouvant son centre par de lents mouvements d’introspection.

Ainsi le spectateur expérimente la danse autrement que par sensation kinesthésique — qui consiste à ressentir par procuration les mouvements qu’effectue un danseur, selon un principe d’empathie et de mimétisme du système nerveux.

Pour donner à voir la notion de gravité, Fabrice Lambert ne compose pas une danse où la consigne serait d’insister sur les effets de poids, mais imagine un dispositif plastique qui va permettre de rendre visible et compréhensible un système dynamique.
Le danseur-chorégraphe évolue sur un plan d’eau, qui se reflète sur le mur du fond et où tout appui transforme la surface aqueuse en ondes immédiatement perceptibles. Ce dispositif relativement simple, là encore coordonné à une ambiance (sons de basses qui instaurent dans les graves une densité sonore, puis boucles passées à rebours qui semblent au contraire aspirer et renverser la chute des corps), permet de rendre évident un paradoxe qui veut que des appuis forts dans le sol entraînent une plus grande élévation et légèreté du reste du corps. Plus le danseur étend son corps sur le plan d’eau, plus son ombre projetée semble aérienne, auréolée, comme le sont les images de bouddha, de corps mystiques en lévitation.

Devenu chorégraphe, Fabrice Lambert nous transmet donc son savoir avant ses ressentiments, choix dont nous pouvons savourer toute l’intelligence. 

V comme Ventre

— Conception
: Fabrice Lambert
— Lumière : Guillaume Cousin
— Interprétation : Lola Rubio

G comme Gravité

— Conception, dispositif et interprétation : Fabrice Lambert
— Dispositif et lumière : Guillaume Cousin
— Photographie : Sarah Zhiri

I comme Interprète

— Conception
: Fabrice Lambert
— Scénographie : Julien Fieulaine
— Photographie : Sarah Zhiri
 

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