Bénédicte Reverchon
A travers les yeux d’une libellule
C’est derrière un rideau de pluie qu’un jour, j’ai eu la chance de rencontrer Bénédicte Reverchon. Dans son travail, je retrouve à chaque fois cette première vision: un visage éclairé par un grand sourire voilé par la ruisselante pluie. Montrer et cacher cette partie dissimulée et intime de la vie que nous devinons sans la voir, Bénédicte Reverchon nous en offre des décryptages sans cesse mouvants et émouvants. Son alchimie photographique et plastique, nous offre un véhicule pour la pensée vers des mondes virtuels passés ou futurs.
Pour cette nouvelle exposition à la Galerie Vrais Rêves, le choix de s’intéresser au patrimoine canadien abandonné et délabré du Val Jalbert, n’est qu’un prétexte pour affirmer, comme Bachelard, que la maison est plus qu’une construction: c’est un vecteur de songe. Bénédicte Reverchon montre la «forme» comme état provisoire qui défie le temps et l’espace.
La vie est saisie par l’objectif de l’artiste dans sa lumière naturelle, la plasticienne opère à vif cette image si énigmatique d’un passé ignoré. Comme une cellule vivante qui remodèle son architecture pour s’adapter à son environnement, la maison semble en réorganisation: ruptures, effacements, vibrations.
Méticuleuse quête, systématique processus, l’artiste domine la technique régulière du trait mais laisse l’aléatoire ouvrir les limites de la perception. L’acte qui barre, repousse, raye devient source de métamorphose. De l’ensemble des tensions discontinues des traits, émanent des accidents, des fractures visuelles. Celles-ci nourrissent des apparitions subliminales parfois dérangeantes car habitées.
Sur les dessins, les lignes, telle une limaille aimantée, organisent les contours d’une structure en voie de disparition à la fois solide et effacée, celle de la ruine. Comme les cordes d’un univers inconnu, les lignes sous-tendent la fantomatique silhouette et émettent un devenir possible.
Toujours en recherche, Bénédicte Reverchon contraint les photons à ralentir, la netteté s’affirme, pourtant survient la capacité de migration des images qui s’enfoncent littéralement les unes dans les autres en se disloquant. Le mouvement est partout. La distance et le nouvel angle d’éclairage perturbent l’image: la matière disparaît, l’énergie et la couleur affluent et irradient; devant tant de liberté de sens, la libellule se régale.