Toutes les photographies de Zineb Sedira dirigent le regard et la pensée vers la Méditerranée, abîme éloignant l’Algérie de la France. Ses images s’empreignent d’une incertitude, d’une douceur mélancolique et d’un calme bercé par le bruit hypnotique des vagues. Un homme, seul face à l’immensité d’une mer brumeuse, contemple la ligne d’horizon tandis que de minuscules silhouettes relient le ciel au sable de la plage. Quels sentiments habitent les protagonistes de Zineb Sedira? Ils semblent détachés, perdus dans leurs pensées, leurs souvenirs, leurs rêves.
Parallèlement, la ville d’Alger que l’artiste a sillonnée amoureusement, semble, elle aussi, plongée dans les souvenirs. Zineb Sedira s’est focalisée sur les paysages et l’architecture héritée de l’époque coloniale et qui donne à la capitale une allure si occidentale. Un escalier, une terrasse délabrée au-dessus des flots, des ruines au bord de l’eau, un mur perforé qui laisse apparaître son squelette de briques rouges… Les constructions françaises, bien que sévèrement marquées par le temps, n’ont rien perdu de leur élégance. Tel est, tout particulièrement, le cas de la célèbre «maison hantée» surplombant la mer et dont l’histoire étonnante fut largement relatée par les journaux.
Des familles algériennes furent relogées à plusieurs reprises dans cette magnifique bâtisse abandonnée après le départ des pieds-noirs en 1962. Mais elles n’y restaient jamais longtemps car la maison leur semblait hantée.
Au fil des années, comme tant d’autres résidences, la maison hantée ne fut ni entretenue, ni intentionnellement démolie. Aujourd’hui, ses façades semblent poser une question: qu’en sera-t-il des vestiges français? Finiront-ils par tomber en poussière dans l’indifférence générale? Ou bien constitueront-ils, d’ici quelques siècles, un objet de fierté nationale comme les sites témoignant de l’hégémonie de Rome au temps de l’Antiquité? Dès lors, les côtes de la capitale apparaissent comme un point de transition entre ici et là -bas, le passé et le présent, la mémoire et l’oubli.
La transition se matérialise en la forme d’une route dans la vidéo And The Road Goes On… . Un paysage côtier défile à une vitesse vertigineuse sans permettre à l’œil de saisir les détails du premier plan. Mais des individus rencontrés au hasard – un passant, un homme en bicyclette – entraînent régulièrement le ralentissement de la bande. La vidéo propose une inversion curieuse questionnant le temps, l’espace et le mouvement: le paysage, généralement immobile, défile à une allure folle, tandis que l’humain, habituellement animé, se retrouve figé.
Avec «A Transitional Landscape», Zineb Sedira élargit son travail sur l’identité, la culture, la mémoire ou le langage en lui insufflant une dimension plus universelle. Ainsi, les thèmes abordés, ceux du nomadisme, de la migration, de la notion de patrie, rayonnent-ils bien au-delà de la relation historique et contemporaine entre la France et l’Algérie.
Zineb Sedira :
— A Transitional Landscape, 2006. Photographie. 154 x 50 cm.
— Haunted House, 2006. Photographie. 80 x 100 cm.
— Haunted House, 2006. Photographie. 80 x 100 cm.
— And The Road Goes On… , 2006. Vidéo.