William Anastasi, Richard Artschwager, Harold Ancart, Carl Andre, Robert Barry, Daniel Buren, Hans Haacke, Dennis Oppenheim, Lawrence Weiner, Sol LeWitt
A Stone Left Unturned
Dès le début des années 1970, Yvon Lambert est le premier à faire découvrir en France l’art conceptuel et l’art minimal à travers ses représentants américains: Lawrence Weiner en 1970, Sol LeWitt la même année, Carl Andre et Robert Barry dès 1971. Il a ainsi su tisser des liens entre ces artistes pionniers dont il est toujours l’ardent défenseur. C’est dans cette dynamique que l’exposition s’inscrit: non seulement poursuivre le dialogue, de contrastes en échos, entre ces deux mouvements fondateurs, mais aussi souligner leurs résonances actuelles dans l’art contemporain. Plus d’une trentaine d’œuvres de presque autant d’artistes seront déployées dans l’espace de la galerie, dans la tradition des expositions de groupe programmées par la galerie.
Empruntant son titre à une pièce éponyme de Lawrence Weiner exposée en 1970 à la galerie Yvon Lambert, «A Stone Left Unturned» propose une sélection d’œuvres témoignant de nombreuses correspondances entre art minimal et art conceptuel. L’exposition présente un ensemble de pièces majeures des années 1960, ainsi que des œuvres récentes d’artistes contemporains. Elles expriment des interrogations parallèles liées à la notion d’œuvre d’art, à la subversion de son intégrité supposée et à l’héritage du canon géométrique.
Art minimal et art conceptuel paraissent diamétralement opposés tant le passage de l’un à l’autre semble être, sinon une réaction, du moins le résultat d’une inéluctable progression de l’histoire de l’art. Tandis que le premier insiste sur la matérialité de l’objet d’art, le second affirme l’ascendance de l’idée sur la forme, son exécution étant «une chose superficielle» (Paragraphs on Conceptual Art, Sol LeWitt, Artforum, juin 1967.) L’historicisation des mouvements artistiques tend ainsi à présenter l’art minimal comme fermé à toute signification extrinsèque et l’art conceptuel comme refusant les préoccupations formelles.
Les œuvres présentées à l’occasion de «A Stone Left Unturned» témoignent d’une réalité plus nuancée des pratiques artistiques de l’époque et de la poursuite à ce jour de leurs interrogations fondamentales. La sémiotique y rejoint la géométrie, la rigueur formelle accompagne des questionnements singuliers. Des idées y habitent des formes apparemment autosuffisantes tandis que l’exécution de concepts abstraits emprunte l’esthétique du minimalisme.
Dans l’introduction à son ouvrage précurseur Six Years: The Dematerialization of the Art Object from 1966 to 1972 (Berkeley: University of California Press, 1973), Lucy Lippard cite Dennis Oppenheim, pour qui «le déplacement des pressions sensorielles depuis l’objet vers l’espace qui l’entoure se révélera être la contribution majeure de l’art minimal». La phrase d’Oppenheim pourrait s’appliquer à son œuvre présentée dans «A Stone Left Unturned». Bien qu’éminemment conceptuelle (la reproduction dans la neige, sur la frontière americano-canadienne, du schéma de croissance d’un arbre), Annual Rings (1968) suit l’inflexion centrifuge de l’esthétique minimale et signale l’art conceptuel comme évolution plutôt que révolution. Loin d’être mutuellement exclusives, satisfactions formelles et considérations intellectuelles animent ainsi à la fois l’art minimal et l’art conceptuel. Leur enchevêtrement complexe continue d’influencer l’art d’aujourd’hui, où l’ambiguïté féconde des notions d’objet et d’idée demeure.
Un e-catalogue sera publié à l’occasion de l’exposition. Préface de Lucy Lippard, entretiens avec Harold Ancart, Robert Barry et Lawrence Weiner par Simon Castets.
critique
A Stone Left Unturned