PHOTO

A rebours

Lorsqu’ils pénètrent la salle, les spectateurs passent au long des six danseurs immobiles dans une pénombre bienveillante. Quand le calme s’installe et que l’attention s’affine, ils découvrent que des gestes d’une lenteur et d’une régularité parfaite déforment les postures premières des interprètes. Puis une phrase d’une composition extrêmement précise gagne les corps des danseurs. Un flux de mouvement qui ne se suspend que pour reprendre en ouvrant l’espace à 30 ou 45°.

Parlant de Rubik’s Cube, casse-tête génial de l’architecte hongrois Ernõ Rubik, Camille Ollagnier souligne l’étrange interdépendance des vingt-six cubes qui le composent. Il dit «d’éléments épars, un assemblage à première vue inextricable qui soudainement s’agence parfaitement». En ce qui concerne le cube aux faces colorées, alors que chaque cube semble pouvoir se mouvoir librement, être sans attaches et pourtant impossible à séparer des autres (que celui qui n’a jamais tenté de forcer sa chance…), les cubes tiennent par un système d’axes d’une grande complexité, breveté par son auteur.

Pour à rebours, l’écriture est la clef du mystère. Portée par des interprètes de grande qualité: Konan Dayot, Benjamin Forgues, Marie Sinnaeve, Tatiana Julien, Lauriane Madelaine et Camille Ollagnier. Si rien n’est laissé au hasard dans les directions, les croisements, les micro-événements qui émaillent structure de la pièce, aucune indications d’état, de présence ne sont données aux interprètes. A eux d’emplir les formes de ce qui leur échappe: la partition est si complète et difficile à exécuter qu’il y a peu de chance de les voir jouer quoi que ce soit. La forme est alors emplie, parfois jusqu’au débord. La pièce, elle laisse sourdre un plaisir de danser de cette manière-là, d’exécuter une œuvre et de laisser le sourire affleurer.

Et nous voyons la contagion d’une partition que l’on sent mathématiquement pensée amener à des moments de magie: rares unissons — si l’on excepte la citation de Fan Dance d’Andy de Groat dont Camille Ollagnier a été assistant – et puissants de par leur rareté, points de contact entre deux corps, peut-être trois, irréguliers… Si, par goût, l’on peut regretter certains mouvements très référencés, on aurait tord de se priver de la rencontre avec une capacité rare à lier rigueur du trait et souplesse du rendu.