C’est avant tout en qualité d’historien et de chercheur que Mathieu K. Abonnenc agit. Dans la veine d’un Aurélien Froment, il développe un travail dont la force réside dans la redécouverte d’archives oubliées, dans la reconstitution de témoignages voués à disparaître et dans leur mise en relation pour faire sens.
Depuis plusieurs années, son sujet de prédilection demeure l’histoire de la décolonisation africaine. Il défriche tout ce qui en a été dit dans les années 1960 et 1970 du côté des colonisés et des militants indépendantistes. Plus qu’un facteur biographique — l’artiste est guyanais —, c’est une réflexion plus large autour de la construction identitaire qui sous-tend son travail. En redonnant vie à un matériau historique que les anciens empires coloniaux ont eu vite fait d’oublier et qui est resté jusqu’alors confidentiel, Mathieu K. Abonnenc fait preuve d’un certain engagement politique.
Autour de l’histoire du film de la réalisatrice antillaise Sarah Maldoror — qui raconte l’implication politique du peuple dans la guerre d’indépendance guinéenne et qui n’a jamais vu le jour pour cause de censure —, Mathieu K. Abonnenc présente ce qu’il appelle une Préface.
Cette Å“uvre se présente sous la forme d’une affiche, où sont reproduits côte-à -côte des négatifs du film et des extraits d’entretiens effectués par l’artiste à quarante ans de distance.
Vient ensuite un diaporama, une «collection de fragments» issus du film et de son script, récupérés et remontés par l’artiste. Trois voix accompagnent le montage et apportent chacun leur point de vue: de celui de la réalisatrice à celui du personnage principal de l’histoire, en passant par celui de l’artiste devenu narrateur pour l’occasion. Rendues possibles par la rencontre et la collaboration de plusieurs acteurs, ces deux pièces semblent moins des Å“uvres d’art signées par un auteur, que des travaux collectifs à visée didactique.
Avec ses recherches sur les numéros de Tricontinental — une revue anti-impérialiste publiée à la fin des années 1960 à Cuba et en France —, Mathieu K. Abonnenc affirme de manière plus évidente un souci d’ordre formel. Pour mettre en exergue les partis-pris des différents éditeurs de cette revue, concernant la mise en page et le design graphique, Mathieu K. Abonnenc procède à un jeu de comparaisons. Le procédé de la sérigraphie sur verre et sur papier lui permet de jouer sur des effets de superposition et de transparence.
Enfin, au sous-sol de la galerie, des films d’époque ayant pour décor et sujet la décolonisation replacent le travail de Mathieu K. Abonnenc dans une filiation historique, mais leur approche militante et passionnée est aux antipodes de la sienne, davantage distanciée voire désabusée. Cette confrontation questionne directement l’écriture et la réécriture de l’Histoire au fil des générations.
Certes, les sujets qui sont à la source du travail de Mathieu K. Abonnenc sont plus intéressants que leur traitement formel. Mais, plus que les pièces prises isolément, c’est leur dialogue au sein d’un même espace qui fait sens. Et avant tout, la remise en circulation d’une archive vouée à disparaître. Grâce à l’artiste, en effet, ce pan de l’Histoire peut exister à nouveau dans un lieu et être réexaminé à la lumière, bien obscure, de notre actualité.
Å’uvres
— Mathieu Kleyebe Abonnenc, Continental Drift, année 69 (Guinea, Africa and Socialism par Ahmed Sekou Touré), 2011. Sérigraphie sur verre et sur papier. 28 x 20,5 cm, encadrée
— Mathieu Kleyebe Abonnenc, Continental Drift, année 69 (USA: La alienación de la cultura. Arte destructivo y revolucionario par Irwin Silber), 2011. Sérigraphie sur verre et sur papier. 28 x 20,5 cm encadrée
— Mathieu Kleyebe Abonnenc, Continental Drift, année 69 (Colonialisme, culture et révolution par Mario de Andrade), 2011. Sérigraphie sur verre et sur papier. 28 x 20,5 cm encadrée
— Mathieu Kleyebe Abonnenc, Continental Drift, année 69 (Angola : un peuple en révolution par Agostinho Neto), 2011. Sérigraphie sur verre et sur papier. 28 x 20,5 cm encadrée
— Mathieu Kleyebe Abonnenc, Continental Drift, année 69 (Vietnam : las maniobras de Nixon par Nguyen Thi Binh), 2011. Sérigraphie sur verre et sur papier (diptyque). 2 x (28 x 20,5 cm) encadrées
— Mathieu Kleyebe Abonnenc, Préface à Des fusils pour Banta, 2011. Diaporama (double projection synchronisée, son), affiche (design graphique : deValence). 25 min 40
— Mathieu Kleyebe Abonnenc, Images Fanon 1987, 2011. Programmation de films. Durées variables