ART | EXPO

A la limite

02 Mar - 31 Mar 2012
Vernissage le 02 Mar 2012

La galerie les Salaisons propose une exposition collective présentant divers univers s’articulant autour de constructions, photographies, diaporamas ou peintures. Si le geste artistique se définit ici comme une forme de protestation, voire de révolte, il invite alors le spectateur à découvrir des œuvres se situant justement «à la limite».

Hidéo Morié, Cécilia Jauniau, Jérome Rappanello, Laëtitia Laguzet, Timothy Perkins, Ilona Tikvicki
Commissaire: Laurent Quenehen
A la limite

«À la limite», les expositions aux Salaisons sont un peu à la limite. À la limite de Paris, à la limite de l’air du temps, à la limite du faisable par l’absence de financement, à la limite de l’entendement de l’administration qui aime les catégories: et non ce n’est pas une galerie, non ce n’est pas un centre d’art, non ce n’est pas un squat, non ce n’est pas un musée. Non, ce n’est pas ça. Les Salaisons, c’est avant tout des propositions pour des artistes, des habitants de Romainville, de Seine-Saint-Denis, des Parisiens, des étrangers et même des chiens viennent parfois, peut-être encore attirés par les effluves de viande froide. Il est différent pour un artiste d’exposer dans le Marais ou à Romainville, c’est un parti pris, un engagement politique. Ici c’est bancal, éphémère, à la limite, chacun ses limites, mais les limites n’existent pas, ne sont pas utiles, si ce n’est pour les dictatures, les enfermements. Gardez vos limites pour vous.

L’exposition commence au moment où vous décidez d’aller aux Salaisons, à Romainville, un espace qui n’est pas très confortable, pas central, il y a un effort à faire. Les artistes qui exposent sont au-delà des limites, mais tous les artistes sont hors limite, sinon ils seraient banquiers, militaires ou religieux. Il faut au moins trois paramètres pour faire une exposition: un lieu, des artistes, des visiteurs. C’est dans ce triangle que se créent les émotions, le reste est secondaire.

Dans la première salle des salaisons: le travail d’Hidéo Morié, ses constructions. Ce n’est pas un travail prémâché. Il faut passer du temps à rêver sur l’espace poétique d’Hidéo Morié pour le percevoir. Le vide permet l’usage du plein, comme pour les vases: un espace vide, ouvert, permet son usage; un sentier est un chemin qui se dessine en marchant, on ne sait pas toujours où l’on va en le prenant. Le titre de son installation est: Le Sentier de la chanteuse Cathy Berberian.

Dans l’espace suivant, le couloir, les photographies de Laëtitia Laguzet, Les Gisants. Un gisant est une personne ou un personnage couché. Les SDF sont couchés comme les morts, presque invisibles pour ceux qui se lèvent tôt. Sous le regard de ceux qui en font plus pour en avoir plus, ils font partie du décor, ils sont à la limite de la vie, les gisants, comme un paysage fondu dans un paysage.

En continuant l’exposition, le travail de Cécilia Jauniau, et son sujet de prédilection: les femmes, ou comment représenter les «états premiers de l’être humain». Nues, voilées, fragmentées, recroquevillées, impudiques et insoumises. Des contorsions, des parties de corps mises en valeur, raturées, réécrites, des dessins, des photographies, des investigations multiples. Ces femmes dévoilées, presque inanimées, nous renvoient une force, une détermination et un abandon rare. Dans le travail de Cécilia Jauniau, chaque femme est unique mais privée de son identité, la femme est toutes les femmes, l’ouverture vers tous les possibles, hors limite.

Dans la pièce rouge, l’ancien bureau, Jérome Rappanello présente ses photographies par le biais d’un diaporama. Une projection éphémère pour des attitudes passagères. Ses photographies révèlent un espace-temps précis de la vie qui file, vite. Des arrêts sur image sur des moments presque imperceptibles, des instants du quotidien, des non dits de l’histoire sont saisis en instants formels, poétiques. Ces images forment une mythologie du quotidien, deviennent des documents historiques.

Suite du parcours: Ilona Tikvicki. Plusieurs fois présentée aux Salaisons car elle est de ces artistes insituables, incernables, au travail protéiforme qui s’engage toujours sur de nouvelles voies et repose des questions sous d’autres formes, d’autres propositions, un univers total transparaît, illimité. Là, «des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas», des boules en terre qui roulent comme des boules de flipper, sujettes aux aléas et aux coups du sorts, mais toujours bien présentes, indestructibles.

Dernière salle de l’exposition, dans un ancien frigo, ou peut être la première si vous commencez par la fin qui n’est bien souvent que le début d’autre chose, les peintures de Timothy Perkins. Des peintures claires et une forme qui apparaît, une personne sort du vide, du néant. Une vie prend corps, occupe toute la toile par la contrainte qui nous oblige à la chercher, à l’apercevoir. Il faut regarder, s’approcher, se reculer, se poster sur les côtés. Ces peintures ne s’imposent pas, elles appellent le regard, intriguent, demande un effort, c’est à la limite du visible, ce n’est pas du «tout cuit».

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