Et si « A Group of People » était la première pierre d’un immense édifice ? Si cette exposition structurait l’avenir des projets de Liam Gillick ? Peut-être même celui d’autres compagnons de route, Philippe Parreno, Pierre Huyghe entre autres, à la manière d’Ann Lee, ce personnage virtuel qu’ils s’échangent pour lui recréer un environnement et une histoire.
L’exposition présentée à la galerie Air de Paris donne les premières clés de ce projet. Sur les murs de la salle principale, d’un côté un tag d’un rose un peu sec dessine une forme primitive, un geste plus qu’une signature (Addition Deletion Waste or Surplus, 2004). De l’autre côté, une série de seize affiches portant slogans et visuels, énonçant dans des formules rapides la construction d’un monde sans faille. Au centre et comme pour parachever le tout, trois structures en aluminium suspendues sur lesquelles apparaissent des mots qui se chevauchent : Three, Team, Working, Flex et bien d’autres. Des mots qui donnent la mesure du récit de Gillick.
Ce récit n’est pourtant pas contenu dans l’exposition : il y apparaît plutôt en filigrane. On le retrouve en revanche dans un texte écrit par Gillick et diffusé sur le site Internet de la galerie. Il s’agit des prémices d’un ouvrage que l’artiste projette de rédiger et qui a pour nom Construcciòn de Uno.
Le contexte de cette fiction est celui d’un groupe d’employés qui revient dans les locaux de l’usine désaffectée dans laquelle ils ont mené une grande partie de leurs activités professionnelles. Celle-ci, qui pratiquait dans les années 1970 une politique sociale expérimentale, n’a pas résisté à la lutte concurrentielle. Ces employés s’y retrouvent donc avec une assiduité sans faille et commencent à hanter les lieux : ils en personnalisent les accès, y mêlent le souvenir de leur communauté au sentiment, teinté d’ambiguïté, de n’être pas allé au bout de leur désir d’imposer un autre modèle.
De cette histoire, Liam Gillick ne retient pour l’exposition qu’une trame, un socle narratif à partir desquels il puise ses inspirations scénographiques. Celles-ci sont régies selon un mode unique facilement perceptible dans les trois installations.
Une lecture franche, livrée sans fard, sans volonté d’imprimer une quelconque démonstration. Les mots simples et directs des affiches percutent un graphisme conquérant perché sur des tons très contrastés: des jaunes et des verts qui affrontent une typographie noire ; des volutes agencées dans des couleurs diaphanes en opposition à une écriture raide, sans véritable sensualité. Ils affichent même leur prolifération frôlant la saturation complète dans l’installation du centre. Jusqu’à s’effacer pour ne devenir qu’une séquence dans le rythme d’un tag sans révérence.
Le mot, tel est bien le sujet de l’artiste, perd ici de sa superbe. Il ressort malmené, trituré, coincé entre le slogan, c’est-à -dire la réduction dans la déclamation, et l’accumulation, c’est-à -dire la confusion, l’amplification à outrance.
Alors, neutralisé le mot ? Pas tout à fait. Car le discours n’en est pas mort pour autant.
Le discours contenu dans cette exposition est l’émanation de celui qui parcourt le récit originel et, d’une manière générale, le travail de Gillick. Liam Gillick dispose de plusieurs outils sur lesquels il appuie sa démarche. Le fait économique et social, l’action politique mais aussi le texte qui, en incidence avec l’objet, sème le doute entre la réalité et la fiction.
Les réalités historiques basculées dans un contexte différent (anachroniques ou virtuels) comme ce qui se joue dans Construcciòn de Uno sont parmi les articulations communes de l’artiste. Le discours y trouve là sa justification et sa force de persuasion.
A Group of People reprend plusieurs de ces mécanismes. On y retrouve développé avec une grande acuité un discours monté sur la critique sociale d’un système en déroute, ayant perdu ses réflexes humanistes. Quand les mots des installations suspendues martèlent fermement la liste un peu funèbre de la mélopée libérale, ceux de l’installation de gauche et, dans une autre mesure, ceux contenus dans le tag du mur du fond, osent la contradiction libertaire, la transgression vivifiante de la méthode.
Liam Gillick livre l’ensemble dans le même souffle. Son discours esquive la démonstration ronflante et ne retient que la force des mots, de l’implacable réalité qui les inspire à cette douce musique de l’espoir qui parfois les nourrit. Et si Liam Gillick a déjà choisi son camp, il ne nous transmet pas de message mais plutôt un point de vue sur l’état du monde.
Il y a du Raymond Hains chez Gillick dans cette manière unique de planer au-dessus de la mêlée, au-dessus des forces en présence. Il y a aussi ce regard amusé, à la fois candide et bavard qui sait réactiver, au moment opportun, le potentiel critique des mots et des choses.
Liam Gillick :
— Universal Childcare, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Workers and Farmers, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Holiday ! Holiday ! Holiday ! , 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— I Am Proud to Be a Citizen, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Shorter Hours! More Pay ! , 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— My State, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Worker’s Educational Association, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Free Concerts Everyday, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Everything For The Happiness of The People, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Safe Transport, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Discussion Forum, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Tomorrow I Will Do The Building, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— More Public Parks, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— A Secure Future, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Public Information Posters, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Claim Full Benefits, 2004. Tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte 189gr contrecollé sur aluminium. Images DIN A2 (59,4 x 42 cm), cadres 63 x 45,5 cm.
— Flex Floating…, 2004. Peinture epoxy sur découpe aluminium. 68 x 200 cm.
— Three Teams…, 2004. Peinture epoxy sur découpe aluminium. 57 x 200 cm.
— And Idle…, 2004. Peinture epoxy sur découpe aluminium. 64 x 200 cm.
— Addition Deletion Waste or Surplus, 2004. Peinture en spray (violet) sur mur.