ART | CRITIQUE

A General History of Labyrinths

PIris Van Dongen
@13 Mai 2013

Retrouver la capacité de l’œuvre d'art à faire monde, à ouvrir sur un espace total et organisé, tout en intégrant la nature multiforme de l'image contemporaine: voilà le point d'ancrage commun aux œuvres regroupées à la galerie Crèvecœur autour de la figure borgésienne du labyrinthe, entre aléatoire et téléologie.

A General History of Labyrinths est le titre d’un ouvrage écrit par Haslam, personnage de la nouvelle Tlon Uqbar Orbis Tertius de Jorge Luis Borges, étonnant récit qui s’applique à brouiller les frontières entre réel et fiction. C’est également celui choisi pour l’exposition de la galerie CrèvecÅ“ur, exposition qui oriente, à travers les Å“uvres de cinq artistes nés dans la seconde moitié du XXe siècle, la question générique de la représentation à l’ère du virtuel vers celle, plus spécifique, de la recherche de solutions plastiques aptes à retrouver une impression de profondeur par delà le système de la perspective classique.

Appréhender le monde au travers d’images déjà constituées, mobiles et multiples: s’il n’est plus d’actualité de prétendre regarder le monde depuis le point de vue, unique et fixe, du sujet cartésien, la profondeur visée se donnerait alors bien plutôt à travers une superposition de plans, de couches et de grilles.

A l’entrée de la galerie, le visiteur est accueilli par la vidéo Dead Spel Ho’Eyes de Renaud Jerez: depuis un ordinateur portable semi ouvert, reposant au sol verticalement sur sa tranche, sont projetées des images de synthèse d’un personnage anthropomorphe. Sur le socle de l’ordinateur sont collées deux images superposées: un personnage du dessin animé Toy Story partiellement recouvert par une publicité présentant une combinaison de camouflage 3D.

Sur un mur adjacent, l’installation murale de Renaud Jerez également inverse les termes, et met en scène un morceau —bien réel cette fois-ci— de vêtement de camouflage sur lequel ont été sommairement collées des impressions de certaines des parties corporelles aperçues dans la vidéo, dont l’aspect artificiel n’est pas sans rappeler le Prière de toucher duchampien.
Collage artisanal venant s’incruster sur le boîtier de l’ordinateur diffusant de fluides images de synthèses, volume retrouvé de manière factice —voire farcesque— pour la chair numérique moulée sur le support irrégulier du tissu de camouflage vendu sous le nom de Jackal 3D Bodysystem: les deux seules Å“uvres en volume de l’exposition se présentent comme une indication sur la manière d’appréhender le reste des pièces de l’exposition.
Soulignant la dimension haptique d’images dont la circulation se couple à leur possibilité de dématérialisation/ rematérialisation, en accord avec la caractérisation deleuzienne de l’«espace lisse» contemporain, un espace caractérisé par «le nomadisme, le devenir et l’art haptique».

La logique de la superposition, avec ses glissements et décrochages subséquents, se distingue en effet de l’espace perspectif classique, où les plans s’enchaînent sans accrocs, de manière fluide. Stéphane Calais, avec Mon atoll breton (Traon) et Cig Cig, fait ainsi se superposer, au premier plan, de larges touches libres et, au second, des dégradés au rendu proche de gradients Photoshop.

De facture plus classique, les deux huiles de Kaye Donachie, True Tenderness Is Silent et Some Sweet Death In Your Heart, des portraits en petit format, sont réalisées en superposant les couches de peinture, avec pour résultat une qualité quasi-spectrale dans la représentation de ces effigies choisies parmi les images d’archives représentant les libres penseurs du XXe siècle.

Antoine de Marquis obtient, par un procédé similaire de travail par couches superposées dans ses aquarelles monochromes, un rendu dont la grisaille s’ancre dans une contemporanéité plus marquée: vue d’un bureau désert, scène figée sur le vif impliquant trois personnages vus de dos dont on peine à saisir le sens, ces images ne sont pas sans évoquer l’étrange bi dimensionnalité des images de caméras de surveillance.

Les deux toiles du néerlandais Kees Goudzwaard illustrent quant à elles l’intrusion de la profondeur au sein de l’abstraction. L’adhésif de marquage intervient à différentes étapes du processus pictural. Superposé à un fond monochrome, il permet de tailler les formes à même la matière colorée. Présidant à un collage préliminaire qui est reproduit par la suite à l’huile sur la toile à l’échelle 1:1, sans apparaître dans le résultat final, il fait émerger des compositions dynamiques, rémanences visuelles de déplacements vectoriels géométriques.

Amorçant une reconquête de l’espace interne de la représentation et possédant en commun la volonté d’ouvrir sur un monde, sur une totalité organisée et cohérente, qui, pour reprendre le mot de Flaubert, «se tiendrait par la force interne de son style», les pièces de cette exposition sont symptomatiques d’une certaine tendance récente à vouloir définir, en parallèle avec des artistes comme Christian Hidaka, une «une troisième voie qui ne recoure ni au minimalisme, ni à l’expressionnisme, dans laquelle l’histoire serait une construction tridimensionnelle, traversée par l’imagination» (Artpress, n°397, février 2013).

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