Le titre de l’exposition fait référence aux bateaux allemands ou hollandais, qui, au cours de l’histoire, ont déporté les «fous», vers des destinations qui leur étaient inconnues.
Le bateau ivre de Johannes Kahrs embarque quant à lui des fragments épars du monde. Deux grands monochromes mauves mettent en scène une masse sombre aux contours incertains qui s’effilochent en traces fuligineuses sur un fond clair. Est-ce bien là une femme, qui agite sa chevelure dense dans un mouvement de dénégation véhémente, ou dans un corps à corps enfiévré ?
Les images qui suivent ne laissent, elles, aucun doute quant à leur référent, d’autant moins qu’elles appartiennent à la mémoire visuelle collective. Issues du réel — coupure de presse, photographie —, ou de la fiction — photogramme de film —, toutes disent un malaise. Menace de suicide, lynchage, uniforme noir de milice, pièce glauque sous les néons verts, obscurité d’où surgissent des mains qui se tendent, se nouent, s’accrochent…
Images d’un monde discrètement angoissé, dans ce qu’elles montrent, mais aussi dans la manière dont Johannes Kahrs les restitue. Sa peinture virtuose (huile ou pastel) atteint à l’illusion photographique, jusque dans les moindres imperfections (pliures, reflets du papier, taches d’imprimerie).
Pourtant un flou, de nature indéfinissable, une imprécision qui résiste, provoquent un flottement, insinuent le doute. Une béance s’ouvre entre papier glacé et réel, où s’engouffrent la peur et la folie. Vers où ce monde nous déporte-t-il ?
Johannes Kahrs :
— Spooky Love, 2002. Huile sur toile. 143 x 243 cm.
— Just to keep the feeling going, 2002. Huile sur toile. 143 x 243 cm.
— Girl’n Gun, 2002. Huile sur toile. 75 x 49 cm.
— Studio Light, 2002. Huile sur toile. 150 x 220 cm.
— I finally accept Fate, 2002. Pastel sur papier. 193 x 303 cm.
— Portrait, 2002. Pastel sur papier. 137 x 97 cm.
— Detail, 2001. Pastel sur papier. 145 x 114 cm.