PHOTO | CRITIQUE

Par effraction

08 Nov - 11 Nov 2018
Vernissage le 08 Nov 2018
PEric Vinassac
@08 Nov 2018

La galerie berlinoise Edmond Gallery présente à Fotofever 2018 — Carrousel du Louvre à Paris — des photographies extraites des séries « Menstrual » et « Night Tour » de l'artiste chinois 9mouth: un travail consacré aux femmes, à ce qu’elles ont de plus caché, de plus unique et de plus universel.

Il y a près de cent ans Freud comparait le sexe nu féminin à la tête de Méduse pétrifiant ceux qui la regardaient. Il reste encore un peu de cette réaction, sinon d’effroi du moins de gêne, devant ce que nous montre 9mouth aujourd’hui. D’autant plus que ses exhibitions de « female genitalia » relèvent d’un genre ambivalent, difficilement identifiable.

Sommes-nous conviés à une énième jeu de séduction / perversion, de voyeurisme / exhibitionnisme autour d’une galerie de photos sexy d’asiatiques nues misant sur un fantasme extrême-oriental.

Ou bien relevant d’un érotisme plus soutenu, 9mouth serait-il l’épigone chinois et contemporain des Onnanoko Shashinka, les « girly photographers » nippons.

Faudrait-il voir au contraire dans ces clichés – bien que ou parce que pris par un homme – une dénonciation féministe du regard masculin, en un singulier remake de « genital panic » versus « the male glaze ». Une transgression des tabous et des stéréotypes « genrés » qui persistent malgré une prétendue libération des mÅ“urs en Occident comme en Chine. Ou bien encore sous couvert d’émancipation pornographique est-ce que ne se déploierait pas insidieusement la contestation politique de toute censure dans un pays où elle s’exerce particulièrement?

Mais tous ces critères d’appréciation sont vite désamorcés. On s’aperçoit que 9mouth ne cherche ni à choquer ni à exciter. Ni à stigmatiser. 9mouth est un tout simplement un jeune homme qui prend sans cesse des photos de jeunes chinoises nues. Le propos de ses photographies est à la fois sommaire et profond. Il s’agit d’une obsession vitale, d’une quête de vérité où morale, pudeur, désir n’ont pas leur place.

Le corps de jeunes chinoises et plus particulièrement leurs parties intimes sont les objets exclusifs de son travail depuis 10 ans. Mais cette obsession ne tient-elle pas à l’essence même de la photographie. Au rêve toujours actif d’un art sans médiation. Car quel est le sujet qui devrait garantir à la photographie son essence indicielle? Sinon ce qui semble le moins fabriqué, le plus naturel: le sexe nu.

De fait les photographies de 9mouth ne sont pas saturées de savoir-faire technique, de références ou d’intentions esthétiques. Voire corsetées d’instructions comme chez Mac Ginley même quand elles se veulent des selfies nus (« Mirror Mirror »). 9mouth, lui, laisse sa place au hasard. Il ne cherche pas à tout maîtriser. Dans ses images on peut apercevoir des sortes de photographie à l’état sauvage. C’est ce qui explique leur paradoxale pudeur et leur qualité humaine. Jamais vulgaires, parce qu’elles respectent au plus juste, au plus simple, le choix de ces jeunes femmes de se faire voir dans leur intimité. Ce sont elles qui décident du lieu (le plus souvent chez elles), de l’angle, de l’expression. Les prises de vue sont fondées sur la confiance, sur une relation intime qui pourtant n’a pas d’histoire, sur une complicité sans passé. Elles n’ont pas répondu à un shooting pour nus artistiques. Elles ne sont pas des modèles rémunérées. Elles cherchent seulement à saisir par le regard de l’autre leur image la plus privée.

Si le web a universalisé un stade du miroir permanent où il est impératif pour gagner une consistance mentale d’avoir un corps visible, remarqué, « liké », « suivi », à l’ égard de l’explicite il est partout pudibond. Le WeChat chinois ni plus ni moins que Facebook ou Instagram. Et si l’on excepte les sites de webcam porno ou les réseaux sociaux spécialisés, prendre son sexe en photo demeure rédhibitoire.

C’est là qu’intervient 9mouth. De jeunes chinoises vont faire appel à son œil et se prêter ainsi librement à son obsession pour pouvoir partager ce qu’elles ont de plus caché, de plus unique et de plus universel, depuis leur vulve jusqu’à leurs menstrues. Gravement ou en souriant, toujours sans artifice ni prétention.

D’où le vrai scandale — s’il doit y en avoir un — et la légitimité de ces étonnants clichés. Ils ont le mystérieux attrait de ces photos trouvées dans les brocantes, images anonymes qui n’étaient pas destinées à être exposées. Les modestes images de ces jeunes filles impudiques ici montrées sont autant de précieuses épiphanies à retardement. Entrant comme par effraction et par le biais de l’art dans notre champ visuel.

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