ART | CRITIQUE

91

PElisa Fedeli
@06 Oct 2010

Le peintre Martin Barré (1924-1993), dont la cote sur le marché de l'art ne cesse d'augmenter, est de nouveau à l'affiche de la galerie Nathalie Obadia qui le défend depuis de nombreuses années. Avec une série de dix tableaux intitulée «91» et exposée dans son ensemble pour la première fois depuis 1991.

L’espace de la galerie Nathalie Obadia se prête bien à l’accrochage particulier des peintures de Martin Barré. Aux hautes arcades nues des salles répondent des tableaux minimalistes accrochés à plus de 2,50 m du sol. Certains, de format allongé (44 x 200 cm), sont accrochés en frise, ce qui leur donne l’allure de prédelles, ces bases de tableaux d’autel que l’on trouve dans les églises.

La série «91» porte le titre de son année de réalisation. C’est un ensemble de dix peintures abstraites, dévoilée à la toute première Biennale d’art contemporain de Lyon. Depuis lors, elle n’avait jamais été exposée à nouveau dans sa totalité, ce qui explique l’importance de cette exposition.

Cette série marque un jalon important dans la démarche analytique que Martin Barré poursuit depuis le début de son Å“uvre qui consiste à explorer les composantes fondamentales de la peinture (le format, le geste, la couleur, la forme, la technique). Elle obéit à une logique sérielle, chaque série étant rigoureusement délimitée dans le temps et définie par un outil. Son ambition toujours unique consiste à créer des variations autour de paramètres prédéterminés afin de mettre en valeur les potentialités de la peinture et son processus de «cristallisation», c’est-à-dire le moment où elle se révèle. Il ne s’agit pas pour Martin Barré d’obéir strictement à des règles, mais de les soumettre à des écarts sur le mode du jeu.

La série «91» appartient à la dernière période de Martin Barré (1979-1993) qui marque, d’une part, la réintroduction de la couleur — après un temps consacré au noir et blanc; d’autre part, la reprise du pinceau, d’abord délaissé au profit de la peinture au tube et de la bombe aérosol.

Dans cette série, la peinture acrylique est soigneusement étalée en aplats. La gamme chromatique est rigoureusement limitée à trois couleurs: le bleu turquoise, le rose orangé et le blanc «couleur de sable». Chaque composition teste des interactions nouvelles entre les couleurs, parfois au nombre de deux seulement, parfois au nombre de trois. Le turquoise et le rose dessinent des formes géométriques, soit triangulaires, soit trapézo‑idales. La règle est simple: le rose orangé est réservé aux formes tournées vers la gauche et le turquoise à celles tournées vers la droite. Les directions diagonales que prennent les formes suggèrent des mouvements dans le tableau. Mais l’agencement asymétrique renverse cet effet et donne une impression d’éclatement.

La deuxième règle que Martin Barré s’est fixée pour la série «91» est la correspondance de la base de chaque forme avec une des bordures du tableau. Les formes défient les limites du cadre, donnant l’impression de sortir du tableau, de tous les côtés. Avec cette règle, il s’agit d’interroger les relations internes entre la couleur, la bordure et l’espace d’exposition.
Le tableau peut ainsi dialoguer avec le mur d’exposition. La notion de all over était déjà présente dans les toiles de l’artiste exécutées à la bombe aérosol dans les années 1960, dont une est justement présentée à la fin de l’exposition. De larges traits noirs et parallèles scandent la surface de la toile. Leurs extrémités se jouent des frontières définies par le châssis. De toute évidence, cette toile datée de 1967 rejoint les recherches menées à cette époque par les groupes BMPT et Supports-Surfaces.

Un épais liseré gris clair délimite les aplats de couleur de la série «91». Tel un «zip» de Barnett Newman, le liseré a pour fonction de joindre et de disjoindre à la fois les différentes composantes du tableau, pour leur permettre de se révéler réciproquement. On ne peut jamais vraiment trancher entre ce qui relève du fond et ce qui relève de la forme, la démarche de Martin Barré visant précisément à effacer cette distinction en créant, dit-il, des «points forts qui font surgir d’autres points forts».

Chose essentielle : les liserés sont tracés à main levée, ce qui apporte de l’imperfection à l’ensemble géométrique et suggère la présence de la main de l’artiste. Le geste y est incarné. La rigueur initiale oubliée. Notion qui parcourt tout ce travail, le geste a déjà été mis à l’épreuve dans les peintures au tube des années 1950.

Incontestablement Martin Barré sait introduire l’aléatoire dans la règle, le geste dans l’ordre. Son approche combine contrôle du vocabulaire et imprévu. Rigoureuse mais sensible, sa peinture lui a permis de s’imposer rapidement comme une figure singulière de l’abstraction.

— Martin Barré, 91. 120 x 160. C, 1991. Acrylic on canvas. 120 x 160 cm
— Martin Barré, 91. 120 x 160. A, 1991. Acrylic on canvas. 120 x 160 cm
— Martin Barré, 91. 120 x 160. D, 1991. Acrylic on canvas. 120 x 160 cm
— Martin Barré, 91. 120 x 160. B, 1991. Acrylic on canvas. 120 x 160 cm
— Martin Barré, 91. 44 x 200. A, 1991. Acrylic on canvas. 44 x 200 cm

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