La salle est immense et toute entière plongée dans le noir. A peine peut-on discerner, à quelques mètres du sol, une étrange toile d’araignée qui semble strier l’espace d’une multitude de petits carrés. Pour comprendre que là est le véritable lieu de l’exposition, il suffit de faire quelques pas. Reliés par des flux invisibles aux écouteurs distribués à l’entrée, chacune de ces parcelles d’espace se révèle hantée par des voix, des slogans, et parfois mêmes par des amorces de glossolalies.
Ainsi, l’obscurité que l’on aurait pu croire accueillante se gorge irrémédiablement de Djinns et de succubes; son vide, jusque-là anonyme, s’anime de présences insistantes dont nul ne saurait se défaire. A l’inverse de l’oeil, qui choisi les objets qu’il regarde, les messages qui parasitent ici l’espace sont tous sans appels : à l’instar d’Ulysse accroché à son mât, nous ne pouvons qu’écouter leurs chants vénéneux et subir leurs effets pernicieux.
Pris de panique, nous tentons de les fuir, mais plus nous pressons le pas, et plus leur cacophonie s’accentue. De phrases sans consistance, les messages deviennent de simples fragments; des miettes; des patchworks. «Quelle bouillie, quelle bouillie ! Il faut mettre de l’ordre dans ma tête» (Johann G. Hamann, Miettes, ed. Vrin), voilà ce que nous voudrions crier ; mais au même instant une langue qui n’est pas la nôtre continue à parler; une langue aboulique sans émetteur ni destinataire.
Savant reflet de son temps, que dire de cette oeuvre sinon qu’elle nous plonge dans son propre désespoir ? Ou bien alors pouvons nous lui faire crédit d’une intention plus subtile ; moins avouable ? C’est probable.
Car derrière son apparente confusion, elle semble pointer du doigt les égarements dans lesquels s’est perdu le structuralisme : en voulant faire du langage un système de signes dont le sens ne repose que dans l’agencement de ses éléments, cette théorie du langage que Claude Closky connaît bien, n’a jamais su faire de différence entre le parole (dont le sens coïncide avec les intentions de celui qui parle) et la langue (qui n’a besoin de personne pour débiter, sans ironie ni amour, les variations infinies dont elle est capable).
* Johann G. Hamann, Miettes, ed. Vrin
Claude Closky
— 100%, 2004. Mats inox, drapeaux deux couleurs. Dimensions variables. Vue d’installation, Quancheng Guangchang (Place des Sources), Jinan (Chine).
— Climb at your own risk, 2006, 10 stepladder, engraved text. Vue d’exposition MADRE, Napoli, 2007. Dimension variable.
— Love and Fear, 2007. Video installation, ordinateur, 22 écrans plats, stéréo, permanent. Dimensions variables.
— Manège, 2006. Installation video, 16 écrans lcd, ordinateur. Vue d’exposition Centre Pompidou, Paris, 2006. Dimensions variables.